Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/135

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malheureux la coupe de l’adversité. Ce ne fut cependant qu’une idée passagère. Mes infortunes m’avaient appris à ne pas trop m’abandonner au triste plaisir qu’on trouve à se plaindre. Quand mon esprit fut redevenu tranquille, je me mis à réfléchir sur la rencontre que je venais de faire, et à examiner si cet événement pouvait avoir quelque rapport à moi. Mais j’eus beau retourner longtemps la chose dans ma tête de toutes les manières, il ne me fut pas possible de rien découvrir qui pût fonder à cet égard une conjecture raisonnable.

La nuit venue, j’entrai dans un petit cabaret à l’extrémité d’un village, et, m’étant assis dans un coin de la cuisine, je demandai du pain et du fromage. Tandis que j’étais à table, en face de ce repas frugal, entrèrent trois ou quatre paysans qui venaient manger un morceau après leur journée. Les idées sur l’inégalité des rangs sont de toutes les classes de la société ; et, comme mon extérieur était beaucoup plus mesquin que le leur, je crus qu’il était à propos de céder la place à cette gentilhommerie de cabaret, et de me retirer dans un endroit plus obscur. Quelles furent ma surprise et ma frayeur quand, presque au même instant, ils entamèrent une conversation sur mon sujet, et que je m’entendis, avec quelque léger changement dans les circonstances, désigner sous le nom du fameux voleur Kit-Williams.

« Au diable ce coquin-là, dit un d’eux, il n’est, ma foi, question d’autre chose. Sur mon âme, je crois qu’il fait parler de lui dans tout le comté.