Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/138

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ter la place et de m’enfuir à toutes jambes. Je me blottis dans mon coin, tenant ma tête de côté, et il me semblait de temps en temps que tout mon corps éprouvait une révolution générale.

À la fin pourtant mes idées prirent un autre cours. Quand je m’aperçus que ces hommes-là ne faisaient pas la moindre attention à moi, le souvenir de mon déguisement et de la parfaite sécurité qu’il devait me donner revint avec force à mon esprit, et je sentis aussitôt une sorte de joie secrète, quoique pourtant je n’osasse pas encore m’exposer aux risques d’être observé. Insensiblement j’en vins jusqu’à m’amuser de l’absurdité de leurs contes et de leur assurance à les débiter. Mon âme semblait s’épanouir ; je m’enorgueillissais intérieurement du sang-froid avec lequel j’écoutais cette scène, et je résolus de prolonger et même de pousser plus loin ce genre de jouissance. En conséquence, dès qu’ils furent partis, j’accostai notre hôtesse ; c’était une veuve, grosse réjouie. Je lui demandai quelle espèce d’homme ce pouvait être que ce Kit-Williams. Elle répondit que, suivant ce qu’elle en avait ouï dire, c’était un des plus jolis garçons qu’il y eût dans les quatre comtés à la ronde, et qu’elle l’aimait de tout son cœur pour sa subtilité à attraper tous ses geôliers et à se faire un passage à travers les murailles de pierre massive comme si c’étaient des toiles d’araignées. Je lui fis observer que l’alarme était tellement donnée dans tout le pays qu’il ne me paraissait pas possible qu’il pût échapper aux recherches. Cette idée l’indigna ; elle dit qu’elle espérait bien que