Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/214

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tous les crimes dont on m’accusait, l’être le plus insensible m’aurait acquitté au tribunal de sa propre conscience, après tant de tourments que j’avais eu à essuyer, après tant de fatigues et d’alarmes, après tant d’heures passées dans l’attente perpétuelle d’être ressaisi, plus affreuse cent fois que l’instant même où je l’avais été réellement. Mais la justice n’a point d’yeux, point d’oreilles, point d’entrailles humaines, et elle pétrifie le cœur de tous ceux qui se sont nourris de ses maximes.

Je ne me laissai pourtant point abattre. Je résolus de ne point me désespérer tant qu’il me resterait un souffle de vie. On pouvait m’opprimer, m’anéantir ; mais, si je périssais, je voulais périr en résistant. Quel bien, quel avantage, quel sentiment agréable ou consolant une lâche soumission pouvait-elle produire ? Qui ne sait que c’est le plus vain de tous les efforts que de s’humilier aux pieds de la loi, puisque ses tribunaux n’ouvrent aucune porte à l’amendement et au repentir ?

Quelques personnes peut-être regarderont mon courage comme au-dessus des forces de la nature humaine. Mais, si je leur dévoile l’état de mon cœur, elles reconnaîtront bientôt leur méprise. Mon cœur saignait par tous les pores. Ma résolution n’était pas l’effet du calme que donnent la raison et la philosophie ; c’était l’impulsion aveugle du délire ; ce n’était pas le calcul de l’espérance, mais la dernière ressource d’un homme qui s’attache opiniâtrement à son dessein et trouve dans l’effort même qu’il fait toute sa satisfaction, prêt à aban-