Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/47

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cupations différentes ; les unes propres à ma solitude nocturne, dans laquelle je pouvais donner pleine carrière aux impulsions de mon âme ; les autres, arrangées pour le désordre de la journée, où mon objet était de demeurer tout à fait sourd au tumulte qui m’environnait.

Par degré j’en vins à laisser mon histoire, et à courir des aventures imaginaires. Je me figurais toutes les positions dans lesquelles je pouvais être placé, et je me traçais la conduite à suivre dans chacune. Ainsi, je me rendis familières toutes sortes de scènes, de luttes et de dangers, de bienfaisance et d’oppression. Je me transportais souvent, en imagination, jusqu’au moment terrible où la nature touche à sa dissolution. Dans quelques-unes de mes rêveries, mon sang bouillonnait avec toute l’impétuosité du courroux et de l’indignation ; dans d’autres, je recueillais avec constance toutes les forces de mon âme, pour quelque périlleuse rencontre. Je m’exerçais aussi à l’éloquence convenable pour ces diverses situations, et dans la solitude de mon cachot, je fis plus de progrès dans l’art oratoire que je n’en aurais peut-être fait au milieu du plus vivant et du plus nombreux théâtre.

J’arrivai enfin à disposer de mes heures chaque jour avec autant de méthode qu’un homme dans son cabinet, qui passe des mathématiques à la poésie, et de la poésie à l’étude du droit des nations. À la régularité de ce travail je joignis la diversité des matières. À l’aide de ma seule mémoire, je parcourus dans ma prison une partie considérable d’Euclide, et je retraçai,