Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/59

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pliquer cette expression, il faut convenir que jamais désespoir ne fut plus calme ni plus résigné que le sien.

Dans tout le cours de mes aventures, je n’ai pas éprouvé de chagrin plus amer qu’à la mort de cet homme infortuné. Les circonstances de son sort se présentèrent à mon esprit dans toute leur complication de dureté et d’injustice. Après avoir chargé d’exécrations tout gouvernement humain qui pouvait être l’instrument d’un aussi abominable forfait, je me reportai sur moi-même. Je voyais d’un œil d’envie la fin de mon ami Brightwell. Mille fois je désirai que mon corps fût froid et insensible à la place du sien ; je n’étais conservé à la vie, à ce que je me persuadais, que pour endurer des maux inexprimables. Dans peu de jours il aurait été acquitté, il aurait recouvré sa liberté, sa réputation ; peut-être que les hommes, touchés des injustices qu’il avait eu à essuyer, se seraient montrés empressés à réparer ses infortunes et à effacer jusqu’au souvenir de son traitement ignominieux. Mais il venait de mourir, cet infortuné, et moi je restais ! Moi, victime d’une iniquité non moins révoltante, mais qui ne pouvais espérer de réparation, qui étais marqué d’infamie pour toute la durée de ma triste existence, et qui devais emporter en mourant le mépris et l’exécration de mes semblables !

Telles furent en partie les premières réflexions que me fit naître le sort de ce martyr de nos barbares institutions. D’un autre côté, cependant, mes relations avec le malheureux Brightwell ne laissaient