Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/41

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contestables à la supériorité, ne regardaient qu’avec circonspection et timidité cet insolent pacha qui maintenait son rang avec une jalousie despotique. Il est vrai que souvent ses traits s’adoucissaient et prenaient une teinte passagère de familiarité, mais on savait par expérience que, si quelqu’un, encouragé par condescendance, venait à oublier un moment la déférence que M. Tyrrel regardait comme lui étant due, il était bientôt traité de manière à se repentir de sa présomption. C’était un tigre qui jugeait à propos de jouer quelques instants avec une souris, mais qui voulait que le petit animal eût toujours la conscience du danger qu’il courait sous les griffes monstrueuses du féroce compagnon de ses jeux. Comme M. Tyrrel avait une assez grande facilité à parler, et qu’il était doué d’une imagination très-fertile, toute désordonnée qu’elle était, il était toujours sûr d’un auditoire. Ses voisins faisaient cercle autour de lui, et ses paroles étaient bientôt suivies d’un rire universel, dû en partie aux égards qu’on lui portait, et en partie aussi à une véritable admiration. Il arrivait souvent, néanmoins, qu’au milieu de cette bonne humeur, un raffinement de tyrannie bien caractéristique venait se présenter à son esprit. Quand ses sujets, excités par sa familiarité, commençaient à négliger de se tenir sur leurs gardes, tout à coup il lui prenait un accès d’humeur, un nuage soudain se répandait sur son front, le ton de sa voix passait du plaisant au terrible, et il s’ensuivait aussitôt une querelle sans motif avec le premier homme dont la figure avait