Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/74

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parable ! enlevé ainsi dans toute la maturité de son génie, dans la vigueur de son âme ! ses jours tranchés au moment où ils étaient mille fois plus utiles au monde qu’ils ne l’avaient encore jamais été ! Ah ! il était né pour l’instruction des sages, pour servir de guide aux hommes ! Et voilà tout ce qui nous reste de lui ! Ces lèvres éloquentes seront à jamais fermées ! ce cœur si actif et si ardent est pour toujours froid et immobile ! Le meilleur, le plus sage des hommes n’est plus, et le monde paraît insensible à sa perte. »

M. Tyrrel n’apprit pas sans émotion la mort de M. Clare ; mais son émotion était d’une nature bien différente. Il avouait qu’il ne pouvait lui pardonner sa partialité envers Falkland, et qu’ainsi il ne pouvait porter de grands regrets à sa mémoire ; mais que, quand même il aurait oublié les injustices passées de M. Clare, on n’avait rien négligé pour entretenir jusqu’au bout son ressentiment : Falkland n’avait pas un instant quitté le chevet de son lit, comme si personne autre n’eût été digne de recevoir ses confidences et ses dernières pensées. Mais ce qui était pis encore, c’était cette confiance testamentaire. « En tout, dit-il, absolument, ce pédant misérable veut me supplanter, lui qui n’a rien de ce qui constitue un homme ! toujours ainsi l’emporter sur ceux qui valent mieux que lui ! Est-ce que tout le monde est devenu fou ? ou n’y a-t-il plus de mesure pour apprécier le mérite ? Et ce M. Clare qui va aussi se laisser prendre à ses grimaces ! qui préfère le frivole et le clinquant au solide ! et à son lit de mort encore !… »