Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/92

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milliers d’années ai mâché un si dur aliment : je vous assure que, depuis le berceau jusqu’à la bière, aucun homme ne peut digérer le vieux levain ! croyez-en l’un de nous, tout cela n’est fait que pour un Dieu ! Il s’y contemple dans un éternel éclat ; il nous a créés, nous, pour les ténèbres, et, pour vous, le jour vaut la nuit et la nuit le jour.

FAUST.

Mais je le veux.

MÉPHISTOPHÉLÈS.

C’est entendu ! Je suis encore inquiet sur un point : le temps est court, l’art est long. Je pense que vous devriez vous instruire. Associez-vous avec un poëte ; laissez-le se livrer à son imagination, et entasser sur votre tête toutes les qualités les plus nobles et les plus honorables, le courage du lion, l’agilité du cerf, le sang bouillant de l’Italien, la fermeté de l’habitant du Nord ; laissez-le trouver le secret de concilier en vous la grandeur d’âme avec la finesse, et, d’après le même plan, de vous douer des passions ardentes de la jeunesse. Je voudrais connaître un tel homme ; je l’appellerais monsieur Microcosmos[1].

FAUST.

Eh ! que suis-je donc ?… Cette couronne de l’humanité vers laquelle tous les cœurs se pressent, m’est-il impossible de l’atteindre ?

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Tu es, au reste… ce que tu es. Entasse sur ta tête des perruques à mille marteaux, chausse tes pieds de cothurnes hauts d’une aune, tu n’en resteras pas moins ce que tu es.

FAUST.

Je le sens, en vain j’aurai accumulé sur moi tous les trésors de l’esprit humain… lorsque je veux enfin prendre quelque repos, aucune force nouvelle ne jaillit de mon cœur ; je ne puis grandir de l’épaisseur d’un cheveu, ni me rapprocher tant soit peu de l’infini.

  1. Petit monde.