Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/98

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PROMÉTHÉE.

Être leur burgrave et garder leur ciel ?… Ma proposition est bien plus équitable : ils veulent partager avec moi, et j’estime que je n’ai rien à partager avec eux. Ce que j’ai, ils ne peuvent le ravir : et, ce qu’ils ont, je consens qu’ils le gardent. Ici le mien, là le tien, et, de la sorte, nous sommes séparés.

ÉPIMÉTHÉE.

Le tien, que comprend-il ?

PROMÉTHÉE.

Le cercle que remplit mon activité ! Rien au-dessous et rien au-dessus !… Ces étoiles là-haut, quel droit ont-elles sur moi, pour m’envisager ainsi ?

ÉPIMÉTHÉE.

Tu es seul ! Ton obstination méconnaît la félicité qui règnerait, si les dieux et toi, les tiens et le monde et le ciel, se sentaient unis en un tout harmonieux.

PROMÉTHÉE.

Je sais cela. Je t’en prie, cher frère, fais comme tu voudras, et laisse-moi. (Épiméthée s’en va.) Ici mon univers, mon tout ! Ici je me sens vivre ; ici tous mes vœux, dans des figures corporelles ; mon esprit, réparti de mille manières, et tout entier dans mes chers enfants ! (Minerve paraît. ) Oses-tu bien, ma déesse ? Oses-tu visiter l’ennemi de ton père ?

MINERVE.

J’honore mon père et je t’aime, Prométhée.

PROMÉTHÉE.

Et tu es à mon esprit ce qu’il est à lui-même ; dès le commencement, tes paroles furent pour moi la lumière du ciel. Il me semblait toujours que mon âme se parlait, se révélait à elle-même ; qu’en elle résonnaient des harmonies natives, sorties de son sein ; et une divinité parlait, quand je croyais parler, et, si je croyais entendre parler une divinité, je parlais moi-même. Et, de la sorte, avec toi et avec moi, confondu en un seul être !… Pour jamais, à toi mon amour !

MINERVE.

Et à toi, pour jamais, ma présence !

PROMÉTHÉE.

Comme la douce lueur du soleil disparu nage aux sommets