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SCÈNE III.

Dorn.

Parle-t-elle ?

Frédérique.

Elle dit à peine quelques mots.

Dorn.

Que dit-elle ?

Frédérique.

Presque rien. Quelquefois elle demande des nouvelles de Jean ; mais elle pense toujours à Edouard, je le vois bien.

Dorn.

Les choses se sont-elles passées ainsi tous ces huit jours ?

Frédérique.

Oh ! non. D’abord elle fut gaie, plus que de coutume ; elle s’occupa du ménage ; elle fit de la musique, et ainsi de suite. Elle se passait fort bien de son amant ; elle se félicitait de pouvoir lui montrer combien elle était ferme.

Dorn.

Vois-tu, Fœrster, ce que je disais ? C’est son orgueil de femme qui la soutenait.

Frédérique.

Mais d’où vient qu’elle aimait d’abord l’occupation, et qu’à présent elle la néglige ?

Dorn.

Je m’explique encore fort bien la chose. Les femmes sont accoutumées à une vie laborieuse. Avec le sentiment d’être aimées, elles ne redoutent point la solitude : un seul heureux moment de présence leur procure une abondante consolation ; la complète absence de sympathie leur est seule pénible et leur blesse le cœur ; alors elles tombent dans un état douloureux et souffrant, et, plus elles s’efforcent de le cacher, plus il dévore leur existence : elles se flétrissent.

Frédérique.

Fort bien ! Et c’est aussi ce qui arrivera à Mlle Éléonore ; car elle aime Edouard : j’en ai beaucoup de preuves. Souvent elle s’approche, comme par hasard, de la porte, et, dans son trouble, elle hésite à s’en éloigner ; ses yeux se remplissent de larmes ; elle paraît l’écouter et vouloir deviner ses pas, ses pensées ; elle est combattue entre l’amour et la fermeté.