Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IV.djvu/318

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sent la cuisine de la sorcière et un temps bien éloigné de nous. Ne m’a-t-il pas fallu avoir commerce avec le monde, apprendre le vide, enseigner le vide ?… Si je parlais raison, comme les choses s’étaient présentées à ma vue, la contradiction éclatait deux fois plus haut. J’ai dû même, pour me dérober à de mauvais tours, m’enfuir dans la solitude, dans les lieux sauvages, et, pour ne pas vivre seul et abandonné, j’ai lini par me donner au diable.

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Et quand tu nagerais à travers l’Océan et contemplerais l’infini, là tu verrais dil moins venir vague sur vague, même quand tu frémirais en face de la mort ; tu verrais du moins quelque chose ; tu verrais sur la croupe verte des mers apaisées les dauphins nageants ; tu verrais passer les nuages, le soleil, la lune et les étoiles : tu ne verras rien dans le lointain, vide éternellement ; tu n’entendras point le bruit de tes pas ; tu ne trouveras rien de solide où te reposer.

FAUST.

Tu parles comme le premier de tous les mysta’gogues qui jamais trompèrent de fidèles néophytes : seulement c’est au rebours. Tu m’envoies dans le vide, pour y développer mon art et ma force ; tu me traites de sorte que je doive, comme le chat, tirer pour toi les marrons du feu. Soit ! je veux approfondir la chose : dans ton néant j’espère trouver le tout.

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Je te félicite, avant que tu te sépares de moi, et je vois bien que tu connaiâ le diable. Prends cette clef.

FAUST.

Cette petite clef ?…

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Commetice par la prendre, et n’en fais pas peu d’estime.

FAUST.

Elle grandit dans ma main ! elle brille ! elle lance des éclairs !

MÉPHISTOPHÉLÈS.

Tu sauras bientôt ce qu’on possède en elle. Cette clef éventera la vraie place. Laisse-toi guider par elle : elle te conduira chez les Mères.

Faust,