Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

force, l’autre l’adresse, qui pourra nous vaincre ? Si nous combattons l’un contre l’autre, nous avons tort. Je ne l’aurais jamais fait, si j’avais pu convenablement éviter le combat. Vous m’avez défié, et l’honneur me faisait une loi de m’y résoudre. Mais je me suis conduit avec courtoisie, et, pendant le combat, je n’ai pas montré toute ma force. « Tu le feras un grand hon« neur, me disais-je, en épargnant ton oncle. » Si je vous avais haï, les choses seraient allées autrement. Vous avez souffert peu de mal, et si, par inadvertance, je vous ai blessé un œil, j’en suis affligé sincèrement. Mais j’ai une excellente ressource : je connais le moyen de vous guérir, et je vous le communiquerai : vous m’en ferez des remercîments. Quand même l’œil serait perdu, pourvu d’ailleurs que vous soyez guéri, ce sera toujours pour vous une facilité. Quand vous irez dormir, vous n’aurez à fermer qu’une fenêtre, tandis que nous autres nous devons en fermer deux. Pour vous apaiser, mes parents s’inclineront surle-champ devant vous ; sous les yeux du roi, en présence de cette assemblée, ma femme et mes enfants vous prieront et vous supplieront de me faire grâce et de me donner la vie. Ensuite je "déclarerai publiquement que j’ai parlé contre la vérité, et que je vous ai outragé par des mensonges, que je vous ai trompé autant que j’ai pu. Je promets de jurer que je ne connais de vous aucun mal, et que je ne songerai plus à vous offenser de ma vie. Comment pourriez-vous jamais demander une plus grande expiation que celle à laquelle je suis prêt ? Si vous me mettez à mort, qu’est-ce que vous y gagnerez ? Vous ave£ toujours à craindre mes parents et mes amis. Au contraire, si vous m’épargnez, vous sortirez du champ clos avec honneur et gloire ; vous paraîtrez à chacun noble et sage : car personne ne peut s’élever plus haut que lorsqu’il pardonne. Une occasion pareille ne s’offrira pas à vous de sitôt : profitez-en ! Au reste, il m’est, à cette heure, tout à fait indifférent de vivre ou de mourir.

— Renard trompeur, répliqua le loup, que tu serais joyeux de m’échapper ! Mais, quand le monde serait d’or, et que tu me l’offrirais dans ta détresse, je ne te lâcherais pas. Tu m’as déjà fait tant de frivoles serments, perfide camarade ! Certainement, si je te laissais aller, je n’en aurais pas une coquille d’œuf. Je me soucie fort peu de tes parents. J’attendrai l’effet de leur