Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/80

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de l’engloutir, lui est encore voilée par une ténébreuse obscurité. »

Ainsi dit-elle, puis elle jeta dans l’espace éthéré un regard terrible. Ce regard est pour un dieu ce que sont les pleurs pour un homme. Junon répondit, en posant la main sur l’épaule de son amie :

« Ma fille, je partage avec toi les douleurs qui te saisissent ; car nous pensons de même en beaucoup de choses, et particulièrement en ceci, que j’évite les embrassements de l’homme et que tu les détestes. Mais nous honorons d’autant plus celui qui en est digne. Beaucoup de femmes désirent un homme voluptueux, comme le blond Anchise ou même Endymion, dont elles veulent seulement partager la couche. Courage donc, noble fille de Jupiter, descends vers le fils de Pelée, et remplis son sein d’une vie divine, afin qu’il soit aujourd’hui le plus heureux des mortels, en songeant à sa gloire future, et que la main de l’heure lui verse les trésors de l’éternité. »

Pallas se hâta de chausser les belles sandales d’or, qui la portent à travers les espaces du ciel et par-dessus la mer ; elle partit et traversa les plaines éthérées, puis l’air inférieur, et descendit, d’un vol rapide, sur la montagne, aux sources du Scamandre, vers le tombeau d’Ésyétès, qui se voit de loin. Ses regards ne se portèrent point d’abord sur la forteresse de la ville, sur la plaine tranquille, qui s’étend vers la plage sablonneuse, entre les belles rives du Xanthe sacré, intarissable, et le lit rocailleux, large, desséché du Simoïs ; ses yeux ne parcoururent point les lignes des navires et des tentes ; elle n’observa point le mouvement du camp animé par le travail : la déesse se tourna du côté de la mer ; elle ne vit que la colline de Sigée ; elle vit le vaillant fils de Pélée, dirigeant ses laborieux Myrmidons.

Ils sont pareils à la troupe mobile des fourmis, quand le pied rapide du chasseur a détruit leurs ouvrages au fond de la forêt, renversant leur édifice, élevé avec tant de soin et de persévérance ; soudain l’innombrable société, dispersée en mille bataillons, s’agite çà et là, et chaque troupe se remue, chacun saisissant l’objet le plus proche, et marchant avec effort vers le centre, vers le vieil édifice de la montagne percée en labyrinthe :