Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/94

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dront longtemps encore les reproches des gens qui aiment le droit et la justice. »

Ysengrin dit là-dessus :

« Il n’en sera pas autrement, et, par malheug, Reineke ne nous fera jamais rien de bon. Oh ! fût-il mort depiu’s longtemps ! Ce serait le mieux pour les gens paisibles. Mais,.is’il est pardonné cette fois, il trompera bientôt avec audace ’tels qui sien doutent le moins aujourd’hui. »

Alors le blaireau, neveu de Reineke, prit la parole et plaida hardiment en faveur de son oncle, quoique sa fausseté fût bien connue.

« Seigneur Ysengrin, dit-il, il est vieux et vrai le proverbe : « A bouche ennemie jamais ne te fie. » En vérité, mon oncle n’a pas non plus à se louer de vos paroles. Mais la chose vous est facile. S’il était à la cour, aussi bien que vous, et s’il jouissait de la faveur du roi, assurément vous auriez à vous repentir d’avoir parlé avec tant de malice, et renouvelé de vieilles histoires ; quant au mal que vous avez fait vous-même à Reineke, vous le passez sous silence. Et cependant plusieurs de nos messieurs savent comme vous aviez fait ensemble une alliance et promis tous les deux de vivre en camarades. Il faut que je conte la chose. Une fois, en hiver, il courut pour vous de grands dangers. Un voiturier, qui menait une charretée de poissons, passait sur la route. Vous en eûtes vent, et vous auriez, à tout prix, voulu manger de sa marchandise : par malheur, l’argent vous manquait. Alors vous persuadez mon oncle ; il se couche linement, comme mort, sur la route. C’était, par le ciel, une audacieuse entreprise ! Mais écoutez quels poissons il eut en partage ! Le voiturier approche, et voit mon oncle dans l’ornière. Il tire vite son coutelas pour, lui assener un coup. Le rusé ne s’émeut pas, ne bouge pas, comme s’il était mort. Le voiturier le jette sur le chariot, et, d’avance, il se réjouit a l’idée de la fourrure. Voilà donc ce que mon oncle risqua pour Ysengrin. Le voiturier continua sa marche, et Reineke jeta des poissons à bas. Ysengrin accourut de loin sans bruit : il mangea les poissons. Reineke se lassa d’aller en voiture. Il se leva, sauta de la charrette, et voulut aussi manger sa part du butin. Mais Ysengrin avait tout dévoré ; il s’était bourré plus que de raison et faillit en crever. Il n’avait laissé