Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mirent de la partie. Dans quelques familles, on regardait ces exercices comme une occupation utile, et l’on invitait du monde aux représentations. Notre lieutenant d’artillerie ne nous quitta point : il nous enseignait les entrées et les sorties, la déclamation et le geste ; mais, en général, nous lui sûmes peu de gré de ses soins, étant persuadés que nous entendions déjà mieux que lui l’art théâtral.

«  Nous en vînmes bientôt à la tragédie, car nous avions souvent ouï dire, et nous croyions nous-mêmes, qu’il était plus facile de composer et de représenter une tragédie que de réussir parfaitement dans la comédie. Et, dès nos premiers essais tragiques, nous nous sentîmes dans notre véritable élément ; nous nous efforcions d’atteindre à la dignité du rang, à la sublimité des caractères, par la roideur et l’affectation, et nous avions assez bonne opinion de nous, mais nous n’étions parfaitement heureux qu’autant que nous pouvions entrer dans une véritable fureur, trépigner des pieds, et nous rouler par terre, de rage et de désespoir.

«  Les petits garçons et les petites filles n’eurent pas été longtemps ensemble dans ces jeux, que la nature s’éveilla, et que la société dramatique se partagea en diverses petites amourettes, si bien que l’on jouait le plus souvent la comédie dans la comédie. Les heureux couples se pressaient la main dans les coulisses, le plus tendrement du monde ; ils nageaient dans les délices, quand ils se voyaient ainsi l’un l’autre enrubannés et parés d’une manière tout idéale, tandis que, de leur côté, les infortunés rivaux se consumaient de jalousie, et, dans leur orgueil et leur maligne joie, méditaient force méchants tours.

«  Ces jeux, quoique entrepris sans discernement et conduits sans art, n’étaient pas cependant sans avantage pour nous. Ils exerçaient le corps et la mémoire ; ils donnaient à notre langage et à nos manières plus de souplesse que l’on n’a coutume d’en avoir dans un âge si tendre. Mais, ce fut surtout pour moi une époque décisive : mon esprit se tourna entièrement vers le théâtre, et je ne trouvais point de plus grand bonheur que de lire, de composer et de jouer des comédies.

«  J’avais encore des maîtres et des leçons ; on m’avait destiné au commerce et placé dans le comptoir de notre voisin ; mais,