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DE WILHELM MEISTER. 391

ment il est possible que le génie se meuve avec joie et liberté sur les sommets dont le seul aspect nous donne le vertige. Il avait rassemblé dans cet esprit une belle série de tableaux, et je ne pus m’empêcher, quand il me l’exposa, d’y voir, comme dans un emblème, le développement de la culture morale. Quand je lui communiquai ma pensée, il me répondit Vous avez parfaitement raison, et nous voyons par là qu’on a tort de travailler a la culture morale isolément, et abstraction faite de tout le reste ; on trouvera, au contraire, que l’homme dont l’esprit aspire à ce développement a toute sorte de raisons pour cultiver en même temps ses sensations les plus délicates, afin de n’être pas exposé à descendre de sa hauteur morale, en s’abandonnant aux séductions d’une imagination déréglée, et s’exposant a dégrader sa noble nature, par le plaisir qu’il prendrait à des niaiseries sans goût, si ce n’est à quelque chose de pire. p

Je ne le soupçonnais point de faire allusion à moi, mais je me sentais atteinte, quand je songeais que, parmi les hymnes qui m’avaient édifiée, plusieurs pouvaient bien avoir été sans goût, et que les petites images qui se rattachaient à mes idées religieuses auraient difficilement trouvé grâce devant les yeux de mon oncle.

Philon avait souvent passé son temps dans la bibliothèque et il m’y conduisit enfin. Nous admirâmes le choix et le nombre des livres. On reconnaissait dans cette collection la pensée du maître car on n’y trouvait presque d’autres livres que ceux qui nous conduisent à des connaissances claires, ou nous enseignent à classer nos idées ; qui nous fournissent de bons matériaux ou nous démontrent l’unité de notre esprit.

J’avais lu énormément dans ma vie, et, dans certaines catégories, presque aucun livre ne m’était inconnu ; il me fut d’autant plus agréable de parler du coup d’œil général, pour observer des lacunes, là où je n’aurais vu, sans cela, qu’une confusion limitée ou une étendue infinie.

Nous fîmes en même temps connaissance avec un homme trës-intéressant, d’un caractère paisible. Il était médecin et naturaliste, et semblait un des dieux pénates, plutôt qu’un des habitants de la maison. Il nous montra le cabinet d’histoire na<