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DE WILHELM MEISTER. 555 5

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cré, selon les usages de l’Église, ce sarcophage et le peu de terre que renferme son oreiller. Avec quelle ferveur, dans ses derniers moments, elle baisait l’image du crucifié, qu’un tatouage a dessinée artistement sur son bras délicat a D

En disant ces mots, l’abbé découvrit le bras droit de Mignon, et l’on vit, sur la peau blanche, un crucifix bleuâtre entouré de lettres et de signes divers.

Le marquis observa de tout près ce nouvel objet.

e 0 Dieu s’écria-t-il, en se redressant et levant les mains au ciel, pauvre enfant malheureuse nièce Je te retrouve ici Quelle douloureuse joie de te retrouver, toi, à qui nous avions renoncé depuis si longtemps ! de revoir, hélas ! inanimé, mais du moins conservé, ce corps aimable et chéri, que nous avions cru dévoré par les poissons du lac ! J’assiste à tes funérailles, si honorables par l’appareil, et plus encore par les nobles cœurs qui t’accompagnent au lieu de ton repos. Et, quand je serai en état de le faire, ajouta-t-il d’une voix entrecoupée, je leur en témoignerai ma reconnaissance. »

Ses larmes l’interrompirent. En pressant un ressort, l’abbé fit descendre le corps au fond du sarcophage. Quatre jeunes hommes, vêtus comme les quatre enfants, s’avancèrent de derrière les tapisseries, posèrent sur le tombeau le pesant couvercle orné de belles sculptures, puis ils chantèrent

Il est bien gardé maintenant, le trésor, belle image du passé ! Il repose entier dans le marbre ; il vit, il agit encore dans vos cœurs. Retournez, retournez dans la vie. Emportez avec vous de saintes et graves pensées, car elles seules font de la vie l’éternité. »

Le chœur invisible répéta les.derniers mots, mais personne n’écouta ces paroles édifiantes ; chacun était trop occupé de cette merveilleuse reconnaissance et de ses propres sensations. L’abbé et Nathalie emmenèrent le marquis ; Thérèse et Lothaire emmenèrent Wilhelm, et ce fut seulement lorsque les chants eurent cessé de retentir, que nos amis furent de nouveau assaillis avec violence par la douleur, les réflexions, les pensées, le désir de connaître, et regrettèrent l’asile qu’ils venaient de quitter.