Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fumée, et les mouches les avaient bien dégradées. Ce désordre ne se pouvait souffrir dans la maison neuve, et d’ailleurs ces gravures avaient plus de prix pour mon père à mesure qu’un temps plus long le séparait des objets qu’elles représentaient ; car ces images ne nous servent d’abord qu’à rafraîchir et vivifier des impressions toutes nouvelles ; elles nous paraissent bien misérables auprès de la réalité ; enfin, le plus souvent, nous n’y voyons qu’un triste pis aller ; mais, à mesure que s’efface le souvenir des modèles, les copies en prennent insensiblement la place ; elles nous deviennent plus chères que les objets mêmes, et ce que nous avons d’abord dédaigné obtient désormais noire estime et notre affection. Il en est de même de toutes les images, et particulièrement des portraits. Il est rare que nous soyons satisfaits de celui d’une personne présente ; et quel plaisir ne nous fait pas la simple silhouette d’un absent ou d’un mort !

Mon père, se reprochant ses anciennes prodigalités, voulut du moins réparer ces gravures autant qu’il serait possible. Le procédé du blanchiment était connu ; mais cette opération, toujours difficile pour les grandes feuilles, fut entreprise dans un local peu favorable ; car les grandes planches sur lesquelles les gravures enfumées furent humectées et exposées au soleil étaient appuyées dans les gouttières et contre le toit, devant les fenêtres des mansardes, et par conséquent exposées à plusieurs accidents. D’ailleurs l’essentiel était que le papier ne séchât jamais tout à fait, mais lût toujours humecté. Ce soin nous fut remis à m’a sœur et à moi, et l’ennui, l’impatience, l’attention, que rien ne devait distraire, nous firent un affreux tourment d’une oisiveté ordinairement si chérie. Cependant on vint à bout de l’opération, et le relieur, qui colla chaque feuille sur de fort papier, fit de son mieux pour égaliser et réparer les marges, ci et là déchirées par notre négligence. Toutes les feuilles furent réunies en un volume et sauvées pour cette fois.

Mais, afin de nous faire essayer et apprendre un peu de tout, vers ce temps-là, un maître d’anglais s’annonça, qui se faisait fort d’enseigner l’anglais en quatre semaines à toute personne qui avait quelque connaissance des langues, et de la mettre en