Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/142

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clairement m’exposer la valeur et l’importance de ce document. Alors mon imagination se reportait à ces temps orageux et barbares, au point que je ne pouvais m’empêcher d’exprimer par la peinture des caractères et des circonstances, et même quelquefois par la pantomime, comme si elles eussent été présentes, les choses qu’il me racontait. Il y prenait un grand plaisir, et par ses applaudissements il m’encourageait à recommencer. J’avais eu dès l’enfance la singulière habitude d’apprendre par cœur les commencements des livres et des divisions d’ouvrages ; d’abord des cinq livres de Moïse, puis de l’Énéide et des Métamorphoses. J’en fis autant pour la bulle d’or, et je faisais souvent rire mon digne ami, quand je m’écriais tout à coup, du ton le plus sérieux : Omne regnum in se divisum desolabitur, nam principes ejus facti sunt socii furum. L’homme sage hochait la tête en souriant et disait d’un air penaif : « Quel temps ce devait être que celui où l’Empereur faisait prononcer en pleine diète de telles paroles à la face de ses princes ! » Le commerce de Olenschlager était plein de grâce. On voyait chez lui peu de monde, mais il aimait beaucoup une conversation spirituelle. Il engageait parfois les jeunes gens à jouer lacomédie. On croyait cet exercice très-utile à la jeunesse. Nous donnâmes le Canut de Schlegel. Je jouais le roi, ma sœur, Elfride, et Ulfo échut au jeune fils de la maison. Ensuite nous essayâmes Britannicus, pour faire de ces exercices dramatiques une étude de langage. On me donna le rôle de Néron, ma sœur eut celui d’Agrippine, et le jeune Olenschlager celui de Britannicus. Nous reçûmes plus de louanges que nous n’en méritions, et nous croyions en avoir mérité bien davantage. J’étais donc dans les meilleures relations avec cette famille, et je lui ai dû beaucoup de plaisirs en même temps qu’un développement plus rapide.

M. de Reineck était d’une vieille noblesse, d’un caractère ferme et loyal, mais obstiné. C’était un homme sec et brun, que je n’ai jamais vu sourire. Il eut le malheur de se voir enlever sa fille unique par un ami de la maison. Il exerça contre son gendre des poursuites violentes, et comme les tribunaux, avec leurs formalités, ne lui semblaient pas déployer assez de vigueur et de célérité au gré de sa vengeance, il se brouilla avec