Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/178

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sions à voix basse ; mais enfin elle fut aussi vaincue par le sommeil ; elle appuya sa jolie tête sur mon épaule et s’endormit aussitôt. Je restais donc seul éveillé, dans la plus singulière situation ; l’aimable frère de la mort vint m’y surprendre et mu calmer à mon tour. Je m’assoupis, et, quand je me réveillai, il faisait déjà grand jour. Marguerite était devant le miroir, et ajustait sa petite coiffe. Elle était plus charmante que jamais, et, quand je me retirai, elle me serra très-cordialement les mains. Je me glissai par un détour dans notre maison, car, du côté du petit Fossé aux cerfs, mon père avait pratiqué dans le mur un jour dérobé, non sans opposition de la part des voisins, et nous évitions ce côté, quand nous voulions rentrer chez nous sans qu’il nous aperçût. Ma mère, dont l’entremise venait toujours à notre aide, avait excusé mon absence au thé du matin, en disant que j’étais sorti de bonne heure, et cette nuit innocente n’eut donc pour moi aucunes suites désagréables.

En général, et à tout prendre, ce monde infiniment varié qui m’entourait ne fit sur moi qu’une impression très-simple : je n’avais point d’autre intérêt que d’observer exactement l’extérieur des objets ; point d’autre affaire que celle dont me chargeaient mon père et M. de Kœnigsthal, et qui ne laissait pas de me faire connaître la marche secrète des événements ; mon cœur n’était occupé que de Marguerite, et mon unique dessein était de tout voir et tout saisir parfaitement, afin de pouvoir le repasser avec elle et le lui expliquer. Souvent, tandis qu’un cortège défilait, je le décrivais à part moi à demi-voix, afin de m’assurer de tous les détails, et de recevoir, pour cette attention et cette exactitude, les éloges de Marguerite. Je ne regardais que comme un surplus l’approbation et le suffrage des autres. Je fus, il est vrai, présenté à de grands et nobles personnages ; mais on n’avait pas le temps de s’occuper d’autrui, et d’ailleurs les personnes d’âge mûr ne savent pas d’abord que dire à un jeune homme ni comment elles doivent le mettre à l’épreuve. De mon côté, je n’étais pas fort habile à me présenter aux gens avec aisance : j’obtenais d’ordinaire leur bienveillance, mais non leur approbation. J’étais tout entier à la chose qui m’occupait, mais je ne demandais pas si elle pouvait convenir aux autres. J’étais le plus souvent trop vif ou trop silencieux, et je