Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/220

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ma vie. C’est ainsi qu’à certaines époques les enfants se séparent des parents, les serviteurs des maîtres, les protégés des protecteurs, et cette tentative de se tenir sur ses pieds, de se rendre indépendant, de vivre de sa propre vie, qu’elle réussisse ou non, est toujours conforme à la volonté de la nature.

Nous étions sortis par la porte de Tous-les-Saints, et nous eûmes bientôt dépassé Hanau ; là j’atteignis des contrées qui éveillèrent mon attention par leur nouveauté, quoique, dans la saison où l’on était, elles eussent peu de charmes. Une pluie continuelle avait extrêmement gâté les chemins, qui, en général, n’étaient pas alors dans le bon état où nous les voyons aujourd’hui, et notre voyage ne fut ni agréable ni heureux. Toutefois je fus redevable à cette température humide du spectacle d’un phénomène que je crois extrêmement rare ; du moins je n’ai jamais rien revu de semblable et n’ai pas appris que d’autres l’aient vu. Nous montions de nuit une colline entre Hanau et Gelnhausen, et, malgré l’obscurité, nous préférâmes faire la montée à pied, plutôt que de nous exposer au danger et à l’ennui de cette traite. Tout à coup je vis à droite, dans un enfoncement, une sorte d’amphithéâtre merveilleusement illuminé. Des lumières innombrables brillaient étagées les unes au-dessus des autres, dans un espace en forme d’entonnoir, et leur clarté était si vive que l’œil en était ébloui, mais ce qui troublait surtout le regard, c’est que ces lumières ne restaient pas tranquilles, et qu’elles sautillaient de haut en bas ou de bas en haut, et dans tous les sens ; toutefois le plus grand nombre demeuraient immobiles en conservant leur éclat. Les cris de mes compagnons de voyage m’arrachèrent malgré moi à ce spectacle, que j’aurais voulu observer plus attentivement. Aux questions que je lui adressai, le postillon répondit qu’il ne savait rien de cette apparition, mais qu’il se trouvait dans le voisinage une ancienne carrière dont le fond était plein d’eau. Était-ce un pandémonium de feux follets ou une société de créatures luisantes ? c’est ce que je ne veux pas décider.

En Thuringe, nous trouvâmes les chemins encore plus gâtés, et, pour surcroît de mal, à la tombée de la nuit, notre voiture resta embourbée dans les environs d’Auerstadt. Nous étions