Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/250

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aux circonstances de l’époque, et qui produisit en conséquence un effet incalculable : c’est Minna de Barnhelm. Lessing, qui, à l’opposé de Klopstock et de Gleim, rejetait volontiers la dignité personnelle, parce qu’il se croyait sur de pouvoir la ressaisir à chaque moment, aimait la vie dissipée des auberges et du monde, contre-poids énergique, constamment nécessaire à se pensée ardent ; et c’est comme cela qu’il s’était joint aussi à la suite du général Tauenzien. On voit aisément comment sa pièce prit naissance entre la guerre et la paix, la haine et l’amour. Ce fut cette production qui ouvrit heureusement à nos regards un monde plus élevé, plus important, et nous tira de la sphère littéraire et bourgeoise dans laquelle la poésie avait vécu jusqu’alors.

Les haines qui avaient divisé la Prusse et la Saxe pendant cette guerre ne pouvaient s’éteindre en même temps que la guerre cessa. Ce fut alors seulement que la Saxe sentit, avec une douleur profonde ; les blessures que l’orgueilleux Prussien lui avait faites ; la paix politique ne parvint pas d’abord à rétablir la paix entre les cœurs ;  : celle-ci, la pièce de Lessing devait la réaliser en image. La grâce et l’amabilité des Saxonnes subjuguent le mérite, la dignité, l’opiniâtreté des Prussiens, et, soit dans les personnages principaux, soit dans les subalternes, le poëte nous offre avec art une heureuse fusion d’éléments bizarres et contrastants.


Si ces observations rapides et décousues sur la littérature allemande ont jeté quelque trouble dans l’esprit de mes lecteurs, j’aurai réussi à leur donner une idée du chaos dans lequel se trouvait ma pauvre cervelle, lorsque, dans le conflit de deux époques si importantes pour la littérature nationale, je me voyais assailli par tant de nouveautés, avant qu’il m’eût été possible de m’accommoder avec les vieilleries ; revendiqué par tant de vieilleries, quand je me croyais déjà fondé à y renoncer complètement. Le chemin que je suivis pour me tirer pas à pas de cette presse, je vais essayer de le retracer du mieux qu’il me sera possible.

J’avais traversé, avec une application suivie, dans la société de beaucoup d’hommes honorables, la période diffuse, à laquelle avait appartenu mon premier âge. Tous ces manuscrits in-quarto que j’avais laissés à mon père en étaient un suffisant témoignage ; et quelle masse d’esquisses, d’ébauches, de plans à demi exécutés, n’avais-je pas réduite en fumée, par découragement plus que par conviction ! Maintenant les conversations, l’enseignement, le conflit des opinions, et particulière en les discours de nos convives, surtout ceux du conseiller Pfeil, m’apprenaient à attacher une valeur toujours plus grande à