Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/359

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portée, soit qu’il questionnât, soit qu’il répondît, ou se communiquât de quelque autre manière, il devait ouvrir devant moi, chaque jour, et même à toute heure, des perspectives nouvelles. A Leipzig, je m’étais accoutumé à des vues étroites et circonscrites, et mes connaissances générales sur la littérature allemande n’avaient pu s’étendre à Francfort, dans l’état où je m’y étais trouvé ; ma chimie mystique et religieuse m’avait même entraîné dans des régions ténébreuses, et ce qui s’était passé depuis quelques années dans le monde littéraire m’était resté en grande partie étranger. Et tout à coup, grâce à Herder, j’apprenais à connaître toutes les tendances nouvelles et toutes les directions qu’elles paraissaient prendre. Il s’était déjà fait une assez belle réputation ; par ses Fragments, ses Forêts critiques, et par d’autres écrits, il s’était placé à côté des hommes les plus éminents qui avaient déjà fixé sur eux les regards de l’Allemagne. Le mouvement qui dut se faire dans un pareil esprit, la fermentation qui dut s’opérer dans une pareille nature, on ne peut ni les saisir ni les exposer ; mais, certes, il fut grand, ce travail couvert, comme on l’avouera sans peine, si l’on songe à toute l’action que Herder a exercée, à tout ce qu’il a produit dès lors, pendant un grand nombre d’années.

Nous n’avions pas vécu longtemps ensemble de la sorte, quand il me confia son projet de disputer le prix proposé à Berlin pour le meilleur mémoire sur l’origine des langues. Son travail était presque achevé, et, comme il avait une très-belle écriture, il put bientôt me communiquer par cahiers un manuscrit lisible. Je n’avais jamais médité sur ces matières ; j’étais encore trop arrêté au milieu des choses, pour songer au commencement et à la fin. La question me semblait d’ailleurs un peu oiseuse. Car, si Dieu avait créé l’homme ce qu’il est, le langage était aussi inné chez lui que la marche droite. Tout comme il devait observer d’abord qu’il pouvait marcher et saisir, il devait aussi s’apercevoir qu’il pouvait chanter avec le gosier et modifier les sons de diverses manières avec la langue, les lèvres et le palais. L’homme était-il d’origine divine, la langue l’était aussi ; et l’homme, considéré dans le cercle de la nature, était-il un être naturel, la langue était naturelle également. Je ne pouvais jamais séparer ces deux choses, non plus que l’âme