Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/445

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Schlosser occupent le premier rang. L’aîné, Jérôme, jurisconsulte élégant et profond, jouissait, comme avocat, de la confiance générale. Il ne se trouvait nulle part aussi bien qu’au milieu de ses livres et de ses papiers, dans des chambres où régnait un ordre parfait. Je ne l’y ai jamais trouvé autrement que joyeux et sympathique. En nombreuse compagnie, il se montrait de même agréable et intéressant, car une vaste lecture avait orné son esprit de toutes les beautés des anciens. Il ne dédaignait pas, dans l’occasion, d’augmenter nos plaisirs, en composant des vers latins pleins d’agrément. Je conserve encore de lui plusieurs distiques badins, écrits de sa main sous les portraits, que j’avais dessinés, de bizarres caricatures franc-fortoises, généralement connues. Je conférais souvent avec lui sur la carrière que je devais suivre, et, si des penchants, des passions et des entraînements sans nombre ne m’avaient pas détourné de cette voie, il eût été mon guide le plus sûr. Son frère Georges était d’un âge plus rapproché du mien ; il avait quitté Treptow et le service du duc Frédéric-Eugène de Wurtemberg. Il avait acquis plus de connaissance du monde, plus d’habileté pratique, et avait fait aussi des progrès dans l’étude générale des littératures allemande et étrangères. Comme auparavant, il aimait à écrire dans toutes les langues ; mais, par là, il ne provoquait pas mon émulation, parce que, me vouant exclusivement à la langue allemande, je ne cultivais les autres qu’autant qu’il fallait pour lire avec quelque facilité les meilleurs écrivains dans l’original. Sa droiture se montrait toujours la même ; et peut-être la connaissance du monde l’avait-elle disposé à persister avec plus de rigueur et même de roideur dans ses honnêtes sentiments.

Par ces deux amis, je fis bientôt la connaissance de Merck, à qui Herder m’avait annoncé de Strasbourg assez favorablement. Cet homme singulier, qui a exercé sur ma vie la plus grande influence, était originaire de Darmstadt. Je sais peu de chose de sa première éducation. Ses études achevées, il accompagna un jeune homme en Suisse ; il y séjourna quelque temps et il en revint marié. Quand je fis sa connaissance, il était trésorier de la guerre à Darmstadt. Né avec du sens et de l’esprit, il avait acquis de très-belles connaissances, surtout dans les lit-