Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/504

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présenter les circonstances particulières au milieu desquelles ces maux, vaguement attendus, peuvent nous surprendre de la manière la plus pénible : la même chose arrive à quiconque se lance dans le monde, surtout aux auteurs, et c’est aussi ce qui m’arriva. Comme la plus grande partie du public s’arrête au fond plus qu’à la forme, l’intérêt que les jeunes gens portaient à mes pièces tenait surtout au sujet. Ils croyaient y voir une bannière, à la suite de laquelle tous les emportements et les désordres de la jeunesse pourraient se donner carrière, et ce furent précisément les meilleures têtes, chez lesquelles déjà pointait quelque chose de pareil, qui furent entraînées. Je possède encore de Burger, cet homme excellent et, à quelques égards, unique, une lettre, adressée à un inconnu, qui peut servir comme témoignage important de l’effet et du réveil que produisit l’apparition de mon ouvrage. En revanche, des hommes graves me blâmèrent d’avoir peint avec des couleurs trop favorables le droit du plus fort ; ils m’attribuèrent même le dessein de ramener ces temps d’anarchie. D’autres me prirent pour un homme d’une science profonde, et me demandèrent de publier une nouvelle édition, annotée, des mémoires originaux du bon Gœtz : à quoi je ne me sentais nullement préparé. Toutefois je consentis à laisser mettre mon nom sur le titre de l’édition nouvelle. Parce que j’avais su cueillir les fleurs d’une grande vie, on me prenait pour un soigneux jardinier. Cette érudition et cette profonde connaissance des faits fut cependant révoquée en doute par d’autres personnes. Un administrateur distingué vient me voir à l’improviste. Je m’en trouve infiniment honoré, d’autant plus qu’il commence par donner des éloges à mon Gœtz de Berliçhinyen et à mes connaissances historiques. Mais je me trouve bien surpris quand j’observe qu’il est venu essentiellement pour m’apprendre que Gœtz de Berlichingen n’avait pas été le beau-frère de Franz de Sickingen, el que, par cette alliance poétique, j’avais porté à l’histoire une grave atteinte. Je cherchai à m’excuser, en alléguant que Gœtz lui-même le qualifiait ainsi : il me répliqua que c’était une façon de parler qui n’exprimait qu’une intime liaison d’amitié, tout comme, de nos jours, on appelle aussi les postillons beaux-frères, sans qu’un lieu de parenté les unisse