Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/557

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figure. » Il se trouble, et, lorsqu’enfin il revient à lui, la foule s’étant portée au lieu du supplice, il voit les rues de Jérusalem désertes ; l’inquiétude et l’impatience l’entraînent, et il commence sa course.

Peut-être parlerai-je une autre fois de ses voyages et de l’événement par lequel le poëme est terminé, mais non pas achevé. Le commencement, quelques morceaux épars, et la fin étaient écrits ; mais l’ensemble me manquait, le temps me manquait pour faire les études nécessaires, pour donner à l’ouvrage la solidité que je désirais, et j’en restai là, d’autant plus qu’il se faisait en moi un développement nouveau, qui dut nécessairement prendre naissance dans le temps où j’écrivis Werther, et où je vis ensuite les effets qu’il produisait. La destinée commune de l’humanité, que nous avons tous à porter, doit peser plus lourdement sur les hommes dont les facultés ont un développement plus précoce et plus large. Nous pouvons grandir sous la garde de nos parents et de nos proches, nous appuyer sur nos frères et nos amis, trouver l’amusement chez des personnes de connaissance et le bonheur chez des personnes aimées : mais la conclusion est toujours que l’homme doit se replier sur lui, et il semble que la Divinité elle-même se soit placée vis-à-vis de l’homme dans une telle situation qu’elle ne puisse toujours répondre à son respect, à sa confiance et à son amour, du moins dans l’instant même du besoin. Bien jeune encore, j’avais éprouvé fort souvent, que, dans les moments les plus critiques, on nous crie : « Médecin, guéris-toi toi-même ; » et combien de fois n’avais-je pas dû me dire en soupirant : « Je suis seul à serrer le pressoir ! » En cherchant donc le moyen d’assurer mon indépendance, je trouvai que la plus sûre base en était mon talent fécond. Depuis quelques années, il ne me quittait pas un seul instant. Souvent ce que j’observais dans l’état de veille se disposait même pendant la nuit en songes réguliers, et, au moment où j’ouvrais les yeux, m’apparaissait un ensemble merveilleux et nouveau ou une partie d’une œuvre déjà commencée. D’ordinaire j’écrivais tout de grand matin ; mais, le soir encore, et bien avant dans la nuit, quand le vin et la compagnie excitaient mes esprits, on pouvait me demander ce qu’on voulait. Qu’il s’offrît seulement une