Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/629

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convenait moins encore aux ministres comme proche collaborateur. Il ne put, selon ses espérances et malgré ses instantes sollicitations, être placé à Carlsruhe. Ce délai s’expliqua pour moi, quand la charge de grand bailli devint vacante à Emmendingen et qu’il en fut pourvu sur-le-champ. On lui conférait donc un bel et fructueux emploi qu’il se montra parfaitement capable de remplir. C’était une chose toute conforme à son humeur et à sa conduite d’être seul, d’agir selon sa conviction, et de rendre compte de tout, quitte à recueillir la louange ou le blâme. Toutes les objections furent inutiles ; ma sœur dut le suivre, non pas dans une résidence, comme elle l’avait espéré, mais dans une bourgade, qui dut lui paraître une solitude, un désert ; dans une maison spacieuse, magistrale, imposante, mais qui manquait de toute société. Quelques jeunes demoiselles, avec qui elle s’était liée d’amitié, la suivirent, et, comme la famille Gerock avait abondance de filles, elles alternaient, et Cornélie, parmi tant de privations, jouissait du moins d’une société dès longtemps familière.

C’était cette position, ces expériences, qui l’autorisaient, croyait-elle, à m’ordonner, de la manière la plus pressante, de renoncer à Lili. Il lui semblait dur d’arracher cette demoiselle, dont elle s’était fait la plus haute idée, à une existence, sinon brillante, du moins vive et animée, pour l’enfermer dans notre maison, honorable sans doute, mais qui n’était point montée pour s’ouvrir au grand monde ; entre un père bienveillant, taciturne, et pourtant volontiers pédagogue, et une mère trèsactive, à sa manière, dans son ménage, mais qui, ses occupations une fois terminées, voulait se livrer paisiblement à un ouvrage d’aiguille, dans un doux entretien avec des jeunes personnes choisies qu’elle attirait près d’elle. En revanche, elle me retraça vivement les relations de Lili, que je lui avais moi-même exposées jusqu’aux moindres détails, soit dans mes lettres, soit dans les confidences où j’avais épanché mon cœur. Par malheur, cette peinture n’était que le développement détaillé et bienveillant de ce qu’un de nos familiers, méchant rapporteur, duquel on finit par se défier tout à fait, s’était efforcé de me souffler a l’oreille en quelques traits caractéristiques. Je ne pus rien promettre à Cornélie, toutefois je dus avouer qu’elle m’avait per-