Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/63

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de braver ainsi la douleur, les importunités de mes camarades croissaient d’autant. Et comme une sotte cruauté ne connaît point de bornes, elle savait bien m’en faire sortir à mon tour. Je n’en citerai qu’un exemple. Le maître n’était pas venu donner la leçon. Aussi longtemps que tous les enfants restèrent ensemble, on s’amusa fort gentiment ; mais ceux qui étaient de mes amis s’étant retirés après une assez longue attente, je restai seul avec trois malveillants, qui se proposèrent de me tourmenter, m’outrager et me chasser. Ils m’avaient laissé un moment seul dans la chambre, et ils revinrent avec des verges, qu’ils s’étaient procurées en déliant à la hâte un balai. Je vis leur intention, et, comme je croyais qu’on touchait à la fin de l’heure, je résolus en moi-même sur-le-champ de ne pas me défendre avant que la cloche sonnât. Là-dessus, ils commencèrent impitoyablement à me fouetter les jambes et les mollets de la façon la plus cruelle. Je ne branlai pas, mais bientôt je sentis que j’avais mal compté et qu’une pareille douleur allonge fort les minutes. Avec la patience croissait ma fureur, et, au premier coup de cloche, je pris aux cheveux celui qui s’y attendait le moins, et le jetai en un clin d’œil sur le parquet, en lui pressant le dos de mon genou ; l’autre, plus jeune et plus faible, qui m’attaquait par derrière, je lui passai mon bras autour du cou et le serrai contre moi presque à l’étrangler. Restait le troisième, qui n’était pas le moins fort, et je n’avais plus que la main gauche pour me défendre : mais je le pris par son habit et, grâce à mon adresse, à sa précipitation, je le fis tomber et l’abattis, le visage contre le parquet. Ils ne manquèrent pas de me mordre.de m’égratigner et de me fouler ; mais toute ma pensée, tout mon corps, était à la vengeance. Profitant de mon avantage, je cognai à diverses reprises les têtes les unes contre les autres. Enfin ils poussèrent des cris de détresse, et nous vîmes bientôt autour de nous tous les gens de la maison. Les verges éparses et mes jambes, que je mis à nu, témoignèrent en ma faveur. On se réserva la punition et on me laissa partir ; mais je déclarai que désormais, à la plus petite offense, je crèverais les yeux à l’un ou à l’autre, je lui arracherais les oreilles, si même je ne l’étranglais-pas.

Cet incident, que j’oubliai bientôt, et dont je ne fis même que