Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/78

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compliment, et d’heure en heure le nombre des notables augmentait. D’abord paraissaient les intimes et les parents, puis les fonctionnaires inférieurs ; messieurs du conseil eux-mêmes ne manquaient pas de venir saluer leur maire, et un nombre choisi était reçu le soir dans des salles qui s’ouvraient à peine de toute l’année. Les tourtes, les biscuits, les massepains, le vin doux, avaient beaucoup de charmes pour les enfants, à quoi s’ajoutait encore que le maire, comme les deux bourgmestres, recevait chaque année de certaines fondations quelque argenterie, qui était distribuée, dans une certaine gradation, aux petits-fils et aux filleuls. Bref, il ne manquait rien, en petit, à cette fête de ce qui rend magnifiques les plus grandes.

Le nouvel an de 1759 approchait, pour les enfants aussi bien venu et aussi charmant que les autres, mais pour l’âge mûr il était plein de factieux pressentiments. On était accoutumé, il est vrai, aux passages des Français, et ils se renouvelaient souvent, mais ils avaient été plus fréquents encore dans les derniers jours de l’année qui venait de finir. Selon l’ancien usage des villes impériales, le garde du beffroi sonnait de la trompette chaque fois que des troupes approchaient, et, ce jour de l’an, la trompette ne cessait pas, ce qui était signe que de grands corps de troupes étaient en mouvement de plusieurs côtés. En effet, ils traversèrent la ville ce jour-là en masses plus considérables : on courut les voir passer. On était accoutumé à ne les voir défiler qu’en petites troupes. Mais elles grossirent peu à peu, sans que l’on pût ou que l’on voulût y mettre obstacle ; puis, le 2 janvier, une colonne s’étant avancée par Sachsenhausen, le pont et la Fahrgasse jusqu’à la garde des constables, elle fit halte, dispersa le petit détachement qui faisait la garde, occupa le poste, descendit la Zeile, et, après une faible résistance, la grand’garde dut se rendre aussi. En un moment, les paisibles rues présentèrent l’image de la guerre. Les troupes s’y établirent et bivouaquèrent, en attendant des logements réguliers.

Cette charge inattendue, et dès longtemps inouïe, pesa durement sur les tranquilles bourgeois, et personne ne pouvait en être plus incommodé que mon père, qui dut héberger dans sa maison, à peine achevée, des soldats étrangers, leur abandonner ses chambres de parade si bien décorées et, la plupart, fermées,