Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/85

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lement de saisir les sons d’une langue, son mouvement, son accent, le ton et toutes les particularités extérieures. Beaucoup de mots m’étaient connus par le latin ; l’italien m’aida encore davantage, et, au bout de peu de temps, en prêtant l’oreille à ce que disaient les domestiques et les soldats, les sentinelles et les visites, j’en appris assez, sinon pour me mêler à la conversation, du moins pour faire des questions et des réponses détachées.

Mais tout cela était peu de chose auprès de ce que je dus au théâtre. J’avais obtenu de mon grand-père une entrée de faveur, dont j’usais journellement, blâmé par mon père et soutenu par ma mère. J’allais donc m’asseoir au parterre, devant des acteurs étrangers, et j’observais avec d’autant plus d’attention les mouvements, les gestes et la parole, que je comprenais peu de chose ou ne comprenais rien à ce qu’on disait là-haut, et ne pouvais trouver de plaisir qu’au jeu mimique et aux intonations. C’était la comédie que je comprenais le moins, parce que l’acteur parlait vite, et qu’elle roulait sur des choses de la vie ordinaire, dont les expressions-m’étaient tout à fait inconnues. On jouait plus rarement la tragédie, et sa marche mesurée, la cadence des alexandrins, la généralité de l’expression, me la rendaient, à tous égards, plus intelligible. Je ne tardai pas à m’emparer du Racine que je trouvai dans la bibliothèque de mon père, et je déclamai, à part moi, ces pièces à la manière du théâtre, comme l’avaient saisie mon oreille et l’organe de la parole, si intimement uni avec elle. Je les déclamais avec une grande vivacité, sans pouvoir encore comprendre toute une tirade dans son ensemble. J’appris même par cœur des morceaux entiers, et je les récitais comme un oiseau parlant que l’on a seriné, ce qui m’était d’autant plus facile qu’auparavant j’avais appris par cœur des passages de la Bible, la plupart inintelligibles pour un enfant, et que je m’étais accoutumé à réciter sur le ton des prédicateurs protestants. On jouait fréquemment les pièces de Destouches, de Marivaux, de La Chaussée, et je m’en rappelle encore distinctement plusieurs personnages caractéristiques ; j’ai conservé moins de souvenirs de celles de Molière. Ce qui fit sur moi le plus d’impression fut l’Hypermnstre de Lemierre, qui, à titre de pièce nouvelle, fut