Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/113

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Nous étions sortis des dangers les plus pressants, mais notre retraite était toujours pénible et hasardeuse, le transport de nos effets de jour en jour plus difficile ; car nous menions avec nous un mobilier complet, outre les ustensiles de cuisine, des tables, des bancs, des coffres, des caisses, des chaises, et même deux fourneaux de tôle. Comment ramener toutes ces voitures, quand le nombre des chevaux diminuait tous les jours ? Les uns tombaient, les autres n’avaient plus de forces. Il ne restait qu’à abandonner une voiture pour emmener les autres. On choisit le plus indispensable. Une voiture fut abandonnée avec tout ce qu’elle contenait. Cette opération fut répétée plusieurs fois. Notre équipage en devint beaucoup plus léger, et pourtant nous dûmes faire des réductions nouvelles, quand nous nous traînâmes, avec les plus grandes difficultés, le long des basses rives de la Meuse.

Cependant j’avais un sujet particulier de vives inquiétudes : c’est que depuis quelques jours je ne voyais plus ma voiture. Je devais supposer que mon domestique, toujours si résolu, s’était trouvé dans l’embarras, qu’il avait perdu ses chevaux et n’avait pu s’en procurer d’autres. Mon imagination se faisait les plus tristes peintures. Mon cher coupé de Bohême, qui était un cadeau de mon prince, et qui m’avait mené si loin, je le voyais enfoncé dans la boue ou versé et renversé, et, tel que j’élais à cheval, je portais donc sur moi tout mon avoir. Mes habits, mes manuscrits de toute sorte, et maints objets que l’habitude m’avait rendus chers, tout me semblait perdu et déjà dispersé dans le monde.

7 et 8 octobre 1702.

Nous.remontions la rive gauche de la Meuse, pour arriver à l’endroit où nous devions la passer, et atteindre, de l’autre côté, la grande route ; nous étions justement dans les prairies les plus marécageuses, lorsqu’on nous annonça que le duc de Brunswick était sur nos pas. Nous fîmes halte et nous le saluâmes respectueusement. Il s’arrêta aussi tout près devant nous et il me dit : « Je suis fâché de vous voir dans cette désagréable position ; cependant je dois me féliciter de ce qu’un témoin de plus, un témoin éclairé, digne de foi, pourra déclarer que