Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/126

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reçut d’une manière très-amicale, dans une maison bien bâtie et bien tenue. Ces bonnes âmes furent charmées de voir leur cousin, et crurent qu’il se trouvait en meilleure posture, puisqu’il avait reçu la charge de nous sortir de la plus dangereuse bagarre avec deux voitures, avec tant de chevaux, et, comme il le leur avait fait accroire, avec tant d’or et d’effets précieux. Nous pûmes d’ailleurs lui rendre le meilleur témoignage pour la manière dont il nous avait conduitsjusqu’alors, et, sans croire bien fermement à la conversion de cet enfant prodigue, nous lui étions si redevables cette fois que nous ne pûmes refuser de prendre quelque confiance en sa conduite future. Le drôle ne manqua pas de jouer son rôle avec des cajoleries, et ses bons parents lui glissèrent effectivement dans la main une jolie somme en or. Ils nous servirent un déjeuner froid et d’excellent vin, et nous répondîmes avec tous les ménagements possibles aux questions que ces braves gens, aussi très-étonnés, nous firent sur les événements qui se préparaient.

Nous avions remarqué devant la maison une couple de voitures singulières, plus longues et, en partie, plus hautes que les fourgons ordinaires. Je demandai curieusement ce que c’était. On me répondit en confidence, mais avec précaution, que là dedans était la fabrique d’assignats des émigrés, et l’on me fit observer en même temps quels maux infinis elle avait causés à toute la contrée. Depuis quelque temps, à peine avait-on pu se défendre des véritables assignats, et maintenant, depuis l’invasion des alliés, on avait donné cours forcé aux faux. Des commerçants attentifs n’avaient pas manqué, pour leur sûreté personnelle, d’envoyer cette monnaie suspecte à Paris, d’où on leur avait expédié la déclaration officielle de sa fausseté. Cela jetait dans le commerce et les affaires une perturbation sans bornes ; personne ne savait plus ce qu’il devait donner et recevoir. Cela répandait déjà depuis Luxembourg jusqu’à Trêves tant d’incertitude, de défiance et d’anxiété, que la misère était partout arrivée au plus haut point.

Au milieu de tous les maux qu’elles avaient soufferts, qu’elles avaient à craindre encore, ces personnes montraient, dans leur condition bourgeoise, de la dignité, de l’affabilité et de bonnes manières, qui faisaient notre admiration, et dont un