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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/149

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dînait le plus souvent en ville, et nous avions la permission d’en user. Quand nous trouvâmes l’occasion d’en faire nos compliments à l’un des donateurs, il nous répliqua qu’ils étaient heureux de nous faire ce plaisir, mais qu’ils regrettaient les tonneaux qu’ils avaient dû octroyer aux émigrés, qui avaient apporté, il est vrai, beaucoup d’argent dans la ville, mais aussi beaucoup de maux, qui l’avaient même entièrement bouleversée. On blâmait surtout leur conduite envers le prince, à la place duquel ils s’étaient en quelque sorte substitués, se permettant avec audace et contre sa volonlé des choses impardonnables.

Dans le temps où l’on était’menacé des derniers malheurs, il était parti pour Ratisbonne. Par un jour brillant et serein, à l’heure de midi, je me glissai le long de son magnifique château, situé sur la rive gauche du Rhin, un peu au-dessus de la ville, et qui était sorti de terre depuis le temps où j’avais vu cette contrée pour la dernière fois. Il était là solitaire, comme une ruine toute nouvelle, une ruine, non pas architecturale, mais politique, et je n’eus pas le courage d’en demander l’entrée au châtelain, qui se promenait alentour. Que les environs étaient beaux auprès et au loin ! Quelles cullures, quels jardins, dans l’espace entre le château et la ville ! Que le Rhin offrait en amont une perspective douce et tranquille, mais magnifique et vivante, du côté de la ville et de la forteresse !

Dans le dessein de me faire passer, je me rendis au pont volant, mais je fus arrêté, ou plutôt je m’arrêtai de moi-même, à la vue d’un transport de chariots autrichiens qu’il s’agissait de passer les uns apris les autres. Li s’éleva entre deux sous-officiers, l’un Autrichien, l’autre Prussien, une dispute qui mit en lumière le caractère des deux nations. L’Autrichien était posté là pour accélérer le plus possible le passage de la file des voitures, prévenir tout désordre, et ne laisser par conséquent aucun autre équipage s’interposer. Le Prussien demanda vivement une exception pour sa petite voiture, où se trouvaient sa femme et son enfant avec quelques effets. L’Autrichien refusa avec une grande tranquillité, en invoquant sa consigne, qui le lui défendait expressément. Le Prussien s’échauffa, l’Autrichien parut, s’il est possible, plus tranquille encore ; il ne souffrit aucun intervalle dans la colonne qui lui était recommandée, et l’autre ne