Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/151

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chemin, quand je pus observer que le bateau devait avoir une forte avarie, car de temps en temps le batelier puisait l’eau diligemment. Dans notre précipitation, nous n’avions pas réfléchi que, pour faire le long trajet de Coblenzà Dusseldorf, le batelier ne prend d’ordinaire qu’un vieux bateau, afin de le vendre là-bas comme bois à brûler et de revenir, d’un pied léger, à la maison avec le prix du trajet dans sa poche.

Cependant nous poursuivions hardiment notre course ; une nuit étoilée, mais très-froide, favorisait notre navigation, quand tout à coup le rameur étranger demanda d’être mis à terre et entra en dispute avec le batelier sur la place où il était le plus avantageux pour le passager d’être déposé ; sur quoi ils ne pouvaient parvenir à s’entendre. Pendant ce débat, qui fut très-vif, notre batelier tomba dans l’eau et nous eûmes de la peine à l’en tirer. Alors, n’y pouvant plus tenir par cette nuit sereine, il me demanda instamment la permission d’aborder à Bonn pour se sécher et se réchauffer. Mon domestique le suivit dans une taverne, mais je résolus de rester à la belle étoile, et me fis arranger un lit sur mon portemanteau et mon portefeuille. Telle est la force de l’habitude, qu’après six semaines passées presque toujours en plein air, j’avais en horreur les toits et les chambres. Cette fois, il en résulta pour moi un nouveau désagrément, qu’on aurait dû prévoir. On avait tiré le bateau sur le bord autant qu’on avait pu, mais pas assez pour que l’eau ne trouvât pas sa voie. Après avoir fait un profond sommeil, je me sentis plus que rafraîchi : l’eau avait pénétré jusqu’à mon lit et m’avait trempé ainsi que mes effets. Je fus contraint de me lever, de chercher le cabaret, et de me sécher comme je pus au milieu d’une société qui s’enfumait de tabac et se régalait de vin chaud. Le matin arriva tout doucement, et on rama vigoureusement pour réparer le temps perdu.

Digression.

Quand je me vois, en souvenir, ainsi descendre le Rhin, je ne saurais dire exactement ce qui se passait en moi. L’aspect de cette nappe d’eau paisible, le sentiment d’une course facile sur le fleuve, me permettaient de reporter mes regards sur les jours