Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/154

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ments, elle s’empare de tous les cK’sîrs qui aspiraient à des biens étrangers, mais elle nourrit dans le cœur paisible toute digne aspiration ; le besoin de communiquer devient toujours plus faible, et il en va pour l’amateur comme pour les peintres, les sculpteurs, les architectes : il travaille dans la solitude pour des jouissances qu’il trouve à peine l’occasion de partager avec d’autres.

Une autre diversion devait encore m’éloigner du monde : c’était la direction prononcée qui m’entraînait vers la nature par une impulsion propre et de la manière la plus individuelle. Là, je ne trouvais ni maîtres ni compagnons, el je dus suffire à tout. Dans la solitude des bois et des jardins, dans les ténèbres des chambres obscures, je me serais vu tout à fait seul, si, dans cette singulière époque, une heureuse liaison domestique1 n’avait su m’offrir d’aimables délassements. Les Élégies romaines, les Épigrammes vénitiennes, sont de ce temps-là.

Je devais avoir aussi un avant-goût des entreprises guerrières ; car, ayant reçu l’ordre d’assister à la campagne de Silésie, qui fut close par le congrès de Reichenbach, je m’étais vu éclairé, mon esprit s’était élevé par diverses expériences dans une contrée remarquable, et, en même temps, des distractions agréables m’avaient bercé doucement, tandis que le fléau de la révolution française, se répandant toujours plus au loin, rappelait à la surface du monde européen tous les esprits, quelle que fût d’ailleurs la direction de leurs pensées et de leurs sentiments, etles ramenait de force aux plus cruelles réalités. Et le devoir m’ayant obligé de suivre encore mon prince au milieu des événements du jour, d’abord si graves et bientôt si tristes, par l’effet des souffrances, courageusement supportées, dont j’ai hasardé de faire à mes lecteurs une peinture adoucie, tout ce qui s’était replié encore detendre et d’affectueux dans le fond de mon âme, avait dû s’éteindre et disparaître.

Toutes ces considérations réunies nous feront trouver moins énigmatique la situation, telle que je l’ai esquissée dans les pages suivantes, et je dois d’autant plus le désirer que je résiste malgré moi à la tentation de revoir ces pages écrites à la hate


1. Allusion à Christiane Vulpius. qui fut la femme de Goethe.