Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/224

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plaine au-dessus, une colline, qui dut être jadis un promon* toire, quand les eaux étaient plus hautes. A son extrémité orientale, on voit une chapelle consacrée à saint Roch, ruinée par la guerre, et qu’on est occupé à reconstruire. Les échafaudages sont encore dressés contre un des côtés, néanmoins on y célébrera demain la fête. On croit que nous sommes venus exprès, et l’on nous promet beaucoup de plaisir.

Nous apprîmes donc qu’à la grande douleur de la contrée, cette maison de Dieu avait été profanée et dévastée pendant la guerre, non pas, à la vérité, par un effet de l’arbitraire et du caprice, mais parce que ce lieu offrait un poste avantageux, d’où l’on pouvait observer toute la contrée et qui en commandait une partie. Ainsi l’église avait été dépouillée de tous les objets nécessaires au culte, même de tous ses ornements, enfumée et salie par les bivouacs, profanée enfin jusqu’à servir d’écurie.

Mais cela n’avait point diminué la foi à saint Roch, qui avait détourné de ses adorateurs la peste elles maladies contagieuses. A la vérité, on n’avait pu songer à y faire des pèlerinages, car l’ennemi, soupçonneux et prudent, défendait toutes les processions comme des réunions dangereuses, qui secondaient l’entente commune et favorisaient les conjurations. Depuis vingtquatre ans on n’avait donc pu célébrer là-haut aucune fête. Cependant des fidèles du voisinage, convaincus des heureux effets de ce pèlerinage, furent poussés par une grande détresse à tenter les moyens extrêmes. Les habitants de Rudesheim en contaient l’exemple suivant. Au milieu d’une nuit d’hiver, ils aperçurent une procession aux flambeaux, qui monta à l’improviste de Bingen à la colline, et finit par se rassembler autour de la chapelle, où les fidèles, comme on peut le soupçonner, firent leurs dé’votions. A quel point les autorités françaises fermèrent les yeux sur le concours de ces fidèles, puisqu’on n’aurait guère pu hasarder une chose pareille sans autorisation, c’est ce qu’on n’a jamais su, mais ce qui s’était fait resta enseveli dans un profond silence.

Au reste tous les habitants de Rudesheim, accourus sur la rive pour être témoins de ce spectacle, assurent qu’ils n’ont vu de leur vie rien de plus terrible et de plus singulier.

Nous descendîmes doucement le long de la grève, et qui-