Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/239

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Un montagnard avait écoulé d’un air jaloux, ou du moins sérieux, tous ces proverbes relatifs à la fertilité de la terre : on lui demanda s’il n’y avait pas aussi chez eux de ces dictons. Il répondit qu’il ne pouvait pas nous en servir un si bel assortiment ; que chez eux on disait tout simplement par forme de bénédiction : « Rondes le matin, pilées à midi, en tranches le soir ; puissions-nous toujours en avoir1 ! »

On applaudit à cette heureuse tempérance, et l’on assura qu’il y avait des temps où l’on devait être satisfait d’avoir aussi bien.

Tandis que maintes compagnies quittent avec indifférence la table, qui s’étendait presque à perte de vue, d’autres échangent des salutations, et la foule se disperse peu à peu. Les plus proches voisins, un petit nombre d’aimables convives, s’attardent seuls encore. On se quitte à regret, on revient quelquefois sur ses pas, et l’on se rapproche pour savourer la triste douceur d’un pareil adieu ; enfin, pour se calmer un peu, on se promet un revoir impossible.

Le soleil est haut : hors des tentes et des échoppes on souffre, on manque de l’ombre qu’une grande plantation de jeunes noyers promet sur cette colline aux races futures. Puissent tous les pèlerins ménager ces tendres arbrisseaux ! Puisse la louable bourgeoisie de Bingen protéger cet établissement, et, par’des plantations complémentaires et des soins attentifs, le faire, peu à peu prospérer pour son avantage et pour la joie d’innombrables pèlerins !

Un mouvement nouveau annonce un nouvel événement. On court au sermon. Toute la foule se porte du côté oriental. Là, l’église n’est pas encore achevée ; les échafaudages y sont encore, l’édifice n’est pas terminé qu’on y célèbre déjà le service divin. Il en était de même quand de pieux ermites bâtissaient de leurs mains dans les solitudes des églises et des couvents. Chaque coup de marteau, chaque pose d’une pierre, était service divin. Les amateurs se rappellent les remarquables tableaux de Lesueur, représentant la vie de saint Bruno. Ainsi se répète dans la grande marche du monde tout ce qui est marquant. L’homme attentif l’observe partout.


1. Le mot de l’énigme est pommes de ferre.