Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/25

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sur son œil de flamme est une volupté. Ses trails, où la majesté brille, n’expriment pas moins de’bonté et de bienveillance. « Ce que j’apprécie surtout, dit-il encore, c’est l’impression indéfinissable qu’il fait sur les coeurs. Il sait les porter vers le bien et le beau sans qu’ils s’en doutent, et ce n’est pas même avec intention qu’il le fait, c’est plutôt son être tout entier qui exerce à son insu cette influence. Dimanche dernier, je passai seul avec lui toute l’après-midi. Il tombait une douce pluie de mai. Nous étions assis dans la salle du jardin, devant la porte ouverte. Goethe était très-heureusement disposé. Il vint à parler de l’église de Saint-Pierre. Je n’entendis jamais une parole aussi belle et aussi pénétrante. Il n’est jamais plus charmant et plus aimable que lé soir, dans sa chambre, appuyé contre le poêle ou assis sur le sofa. Que ce soit le silence du soir ou le soulagement qu’il éprouve après de pénibles travaux, il est plus gai, plus causant, plus ouvert, plus cordial. Oui, Goethe peut être la cordialité même. Je voudrais pouvoir vous dire une fois ce que cet homme est devenu pour moi, quelle est sa bonté à côté de sa grandeur. Je le vois tous les jours ; je vis entièrement sous ses yeux ; je lui ouvre mon cœur jusqu’au dernier repli : non pas qu’il le demande, mais parce que je ne pourrais vivre autrement.

« Je reste souvent jusqu’à dix heures du soir auprès de lui, dans son cabinet. Assis sur le sofa, dans le plus simple négligé, il cause ou il entend une lecture. Mais ses discours sont plus instructifs et valent mieux que toutes les lectures. Il se lève soudain et se promène de long en large ; ses gestes sont une parole vivante ; ce n’est pas seulement l’organe de la voix, c’est toute sa personne qui parle, et par ses yeux rayonne tout le feu de sou âme. On lisait un soir un chaut d’automne de mon père sur Dieu et l’immortalité. Goethe était absolument immobile. Il levait les yeux, comme s’il eût cherché le monde supérieur. J’éprouvai l’émotion la plus profonde à ce moment, où il dirigeait mon regard de la terre vers le ciel par des chemins tout nouveaux, et lui ouvrait une perspective dans l’éternité. »

Tandis que les deux chefs de la littérature travaillaient avec une noble émulation et une concorde fraternelle à l’œuvre commune, les Allemands disputaient sur la question de savoir lequel des deux était le plus grand poète. Goethe avait déjà condamné en Italie des discussions pareilles au sujet du Tasse et de l’Arioste, de MichelAnge et de Raphaël1. Témoin de la lutte passionnée qui s’élevait


1. Tome IX, page 399.