Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/256

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du travail et les jouissances de l’amitié, et j’en avais grand besoin : spectateur de révolutions mémorables et qui menaçaient le monde, témoin des plus grandes souffrances que puissent endurer bourgeois, paysans et soldats, associé moi-même à ces épreuves, je devais me trouver dans les dispositions les plus tristes. Mais quel repos pouvions-nous goûter, quand nous étions chaque jour alarmés et troublés par les terribles mouvements de la France ? L’année précédente, nous avions déploré la mort du Roi et de la Reine : cette année, la princesse Elisabeth eut le même sort.

Les forfaits de Robespierre avaient effrayé le monde, et le sentiment de la joie était tellement perdu, que personne n’osait se réjouir de la chute du tyran, d’autant moins qu’au dehors ’les opérations militaires de la nation, agitée chez elle dans ses dernières profondeurs, faisaient des progrès irrésistibles, ébranlaient le monde autour d’elle, et menaçaient de bouleversement, sinon de destruction, tout ce qui subsistait encore.

Cependant le Nord vivait dans une sécurité timide, qui tenait du songe, et l’on calmait les craintes par l’espérance peu sûre de bonnes relations de la Prusse avec la France.

Dans les grands événements, et même dans les situations les plus critiques, l’homme ne peut renoncer à combattre avec la parole et avec la plume. Il parut alors en Allemagne une brochure qui fit une grande sensation ; c’était un Appel à tous les peuples de l’Europe. Elle exprimait la haine ardente de la France, dans un moment où les ennemis indomptés s’approchaient en force de nos frontières. Et pour exciter au plus haut point la lutte des opinions, les chansons révolutionnaires de la France circulaient en secret. Elles m’arrivèrent par des personnes de qui on ne l’aurait pas attendu.

Les dissensions intérieures des Allemands, en ce qui regardait la défense et la réaction, se manifestèrent dans la marche des arrangements politiques. La Prusse, sans s’expliquer clairement sur ses desseins, demanda la nourriture pour ses troupes. On publia une réquisition, mais personne ne voulait donner ni s’armer et se pourvoir convenablement. A Ratisbonne, il fut question d’une ligue des princes contre la Prusse ; projet encouragé par ceux qui soupçonnaient des vues d’agran-