Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/266

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en bons termes avec lui, en considération de’son remarquable talent. Il était le premier qui eût fait valoir dans le public mes poésies lyriques avec zèle et persévérance. Il était d’ailleurs dans ma nature de supporter, par une reconnaissance coutumière, les hommes fâcheux, s’ils ne se conduisaient pas trop mal avec moi, mais, si les choses en venaient là, de rompre avec eux brusquement. Or, Reichardt s’était jeté avec fureur dans la révolution, et moi, qui voyais de mes yeux les suites affreuses, inévitables, de ces dissolutions violentes de la société, et qui observais les progrès que faisait peu à peu dans la patrie cette même tendance secrète, je m’attachai tout de bon à l’état de choses subsistant, que, durant toute ma vie, avec ou sans conscience de mon œuvre, j’avais contribué à perfectionner, à animer, à diriger vers la raison et la sagesse ; et je ne pouvais ni ne voulais dissimuler ces sentiments.

Reichardt avait aussi commencé à composer avec succès les chants de Wilhelm Meister. Sa mélodie pour les strophes sur l’Italie est encore admirée. Unger lui remit les chants du second volume. Reichardt était donc notre ami du côté musical et notre ennemi politique, et cet état de choses préparait une rupture qui finit par éclater.

Jacobi s’était réfugié dans le Holstein, et il avait trouvé le plus aimable accueil à Emkendorf dans la famille du comte de Reventlow. On m’invitait dans ce cercle, mais je fus retenu surtout par la crainte d’y trouver gênée ma liberté d’homme et de poète. Les lettres de Jacobi sur Wilhelm Meister n’étaient d’ailleurs pas engageantes. Mon ami, non plus que son noble entourage, n’en trouvait pas la réalité édifiante, surtout dans une société inférieure ; les dames avaient plus d’un reproche à faire à la moralité ; le comte de Bernstorff, lui seul, homme à grandes vues, homme du monde, prit le parti du livre critiqué. L’auteur se souciait donc fort peu de recevoir en personne des semonces pareilles et de se voir a la gêne entre la table à thé et une aimable et bienveillante pédanterie.

Je ne me souviens pas que la princesse Gallitzin m’ait dit un mot de Wilhelm Meister. Elle avait fui Munster devant les Français ; son grand caractère, soutenu par la religion, ne se démentit pas, et, comme une activité paisible l’accompagnait