Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/305

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pouvait ni ne voulait lui rendre ces paroles en français dans leur véritable sens ; enfin Benjamin Constant, qui était aussi un de mes voisins, cédant à ses instances, essaya de la satisfaire en usant d’euphémisme.

Mais, quoi qu’on puisse dire et penser des rapports de Mme de Staël avec la société de \Veimar, ils furent certainement d’une grande portée et d’une grande influence pour la suite. Son ouvrage sur l’Allemagne, résultat de ces conversations familières, fut comme un puissant instrument qui fit la première brèche dans la muraille chinoise d’antiques préjugés, élevée entre nous et la France. On voulut enfin nous connaître, d’abord au delà du ’ Rhin, puis au delà du Canal, ce qui nous assura inévitablement une vivante influence sur l’extrême Occident. Nous devons donc bénir cette gêne et le conflit des individualités nationales qui nous semblaient alors incommodes et toujt à fait inutiles.

Nous passâmes aussi avec Benjamin Constant des heures agréables et instructives. Si l’on se rappelle ce que cet homme supérieur a fait dans la suite, et avec quelle ardeur il a poursuivi sans balancer la route qu’il avait choisie, comme étant celle de la justice, on pourra se figurer quelles nobles tendances, encore enveloppées, agissaient dans un tel homme.

Il passait quelquefois la soirée chez moi avec Mme de Staël. Jean de Mùller vint plus tard se joindre à nous, et la conversation ne pouvait manquer d’être du plus haut intérêt, quand le duc voulait bien aussi prendre part à ces réunions intimes. Sans doute les événements du jour revenaient sans cesse dans ces entretiens : pour en distraire les esprits, je me servis avec succès de ma collection de médailles du quinzième siècle, qui faisait passer mes hôtes des méditations politiques et des généralités philosophiques aux particularités de l’histoire. Là, Jean de Mùller était sur son terrain ; il avait parfaitement présente à l’esprit l’histoire de chacun de ces hommes, plus ou moins importants, dont la figure en bronze passait sous nos yeux, et il en prenait occasion de nous citer d’amusants détails biographiques.

Mme de Staël avait, je puis dire, exigé une représentation de la Fille naturelle : mais, avec le peu d’action mimique de la pièce, que pouvait-elle saisir dans ce dialogue absolument in-