Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/32

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Leur auteur n’était point insénsible aux maux de la patrie ; il ne le fut pas à l’issue des événements, mais il faut l’entendre luimême, pour comprendre combien ses vues politiques étaient sages et que, même après la victoire de Leipzig, il sentait tout ce qui manquait à l’Allemagne pour être une grande nation. « Ne croyez pas, disait-il à un patriote de l’époque, ne croyez pas que je sois indifférent pour les grandes idées de liberté, de nation, de patrie ; non, ces idées sont en nous ; elles font partie de notre être, et personne ne peut s’en dépouiller. Je porte aussi à l’Allemagne un ardent amour. J’ai senti souvent une douleur amère, à la pensée que les Allemands, si estimables un à un, sont une nation si misérable. On éprouve, à comparer le peuple allemand aux autres peuples, un pénible sentiment, auquel je cherche à me dérober par tous les moyens. J’ai trouvé dans les sciences et les arts les ailes avec lesquelles on peut s’élever au-dessus de tout cela ; car les sciences et les arts appartiennent au monde, et devant eux disparaissent les barrières des nations. Mais la consolation qu’ils procurent n’est pourtant qu’une triste consolation, qui ne remplace point l’orgueilleux sentiment d’appartenir à une nation grande, forte, estimée et redoutée. »

II s’explique aussi sur l’avenir de l’Allemagne, mais cet avenir lui parait encore bien éloigné. Voici ses propres paroles : « Que chacun de nous, selon ses talents, son inclination, sa position, développe en attendant la culture du peuple et la fortifie, afin qu’il ne reste pas en arrière des autres, qu’au contraire il les devance ; afin que l’intelligence ne s’émousse pas, qu’au contraire elle se vivifie ; afin qu’elle ne défaille pas, ne devienne pas pusillanime, mais qu’elle se montre capable de toutes les grandes actions, quand le jour de la victoire viendra nous luire. »

De ces considérations générales, Goethe, passant à l’examen de la situation actuelle, donne à entendre qu’il est loin de partager les illusions qu’on se fait. « On parle, dit-il, du réveil du peuple allemand, qui s’élève à la liberté. Le peuple est-il réellement réveillé ? Sait-il ce qu’il veut et ce qu’il peut ? Le sommeil a été trop profond pour que la secousse, même la plus rude, ait pu si tôt le rendre à lui-même. Et puis tout mouvement est-il un relèvement ? Se relèvet-il, celui qu’on fait lever par force ? Je ne parle pas de quelques milliers de jeunes gens et d’hommes cultivés ; je parle de la multitude, des millions. El qu’avons-nous conquis ? Qu’avons-nous gagné ? Vous dites la liberté !… Il serait plus exact de dire la délivrance, oui, la délivrance, non pas du joug des étrangers, mais d’un