Aller au contenu

Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/327

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

propreté recherchée qui régnait autour d’elle allait fort bien à sa figure gracieuse, quoique maladive, et nous eûmes du plaisir à nous entretenir avec elle des beaux jours passés, dont le souvenir lui était toujours présent, comme la vie et les travaux de son excellent oncle.

Pour terminer sérieusement et dignement notre pèlerinage, nous allâmes au jardin visiter la tombe du noble vieillard, à qui il avait été donné de reposer à la place de son choix, après bien des années d’activité, d’épreuves et de souffrances, environné des monuments de ses amis trépassés.

Nous visitâmes plusieurs fois la déserte et humide cathédrale. Quoique privée de son ancienne vie religieuse, elle avait conservé toute sa dignité première. Ces édifices ont un charme qui nous attire : ils nous représentent une civilisation forte, mais sombre, et, comme nous nous plaisons quelquefois à nous plonger dans les ombres du passé, nous aimons aussi qu’une mystérieuse enceinte nous saisisse d’un certain frissonnement, agisse sur notre sentiment, sur notre imagination, et réveille en nous une disposition morale, poétique et religieuse.

Les Spiegelberg, collines boisées naturellement, qui s’avancent du Harz voisin, sont devenues maintenant, grâce aux plus bizarres décorations, le rendez-vous de hideuses créatures. On dirait qu’une société maudite, revenant du Blocksberg1, ait été là pétrifiée par l’insondable volonté de Dieu. Au pied de la montagne, un énorme tonneau sert de salle de noces à l’abominable race des nains ; et, de là, par toutes les allées du parc, des monstres de toutes sortes vous épient, si bien que Prétorius, l’ami des difformités, pourrait y voir parfaitement réalisé son mundus anthropodemicus. Ce spectacle me fit sentir combien il est nécessaire dans l’éducation de ne pas laisser de côté l’imagination, mais, au contraire, de la régler et de lui inspirer par de nobles images, présentées de bonne heure, le goût du beau, le besoin de l’excellent. Que sert-il de refréner la sensualité, de former l’intelligence, d’assurer à la raison son empire ? L’imagination nous guette, victorieux ennemi ; elle a, par nature, un irrésistible penchant pour l’absurde, qui agit puissamment,


1. Comparez tome IV, page 240.