Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

livrai alors avec mon collègue fidèle et jamais oublié, le ministre d’État de Voigt, ainsi que le grave entretien que j’eus avec mon prince au quartier général de Niederrossla.

La duchesse inère habitait Tiefourt. Le maître de chapelle Himmel s’y trouvait, et l’on faisait de la musique, le cœur oppressé. Mais c’est l’usage dans ces moments, que les plaisirs et les travaux, comme le manger, le boire, le sommeil, se succèdent tristement.

La suite des roches de Carlsbad était arrivée à léna ; je m’y transportai le 26 septembre pour les déballer et les cataloguer préalablement avec l’assistance du directeur Lenz ; un rôle pareil était rédigé pour la Gazette littéraire d’Iéna et livré à l’impression. Cependant je m’étais retiré dans l’aile du château pour faire place au prince de Hohenlohe, qui s’approchait avec sa division, et qui aurait mieux aimé s’avancer sur la route de Hof à la rencontre de l’ennemi. Malgré cette triste perspective, nous traitâmes, suivant l’ancien usage, avec Hegel, bien des questions philosophiques.

Je dînais chez le prince de Hohenlohe ; je revis à sa table plusieurs hommes marquants ; je Os de nouvelles connaissances. Personne n’était à son aise ; chacun se sentait dans un désespoir qu’il ne pouvait s’empêcher de trahir, sinon par ses discours, du moins par son attitude.

J’eus une scène singulière avec le colonel de Massenbach, la tête chaude. Comme chez d’autres, la passion d’écrire avait fait tort chez lui à la prudence politique et à l’activité militaire. Il était accouché d’un écrit bizarre, qui était tout uniment un manifeste moral contre Napoléon. Chacun prévoyait, craignait la supériorité de l’ennemi ; c’est pourquoi l’imprimeur, accompagné de quelques conseillers, vint à moi, et, tous ensemble, ils me supplièrent d’empêcher l’impression du manuscrit, qu’ils me présentèrent, et qui, vu l’approche de l’armée française, serait nécessairement funeste à la ville. Je me le fis remettre et je vis une suite de périodes, dont la première commençait ainsi : « Napoléon, je t’aimais !» et la dernière : « Napoléon, je te hais ! » Dans l’intervalle étaient exprimées toutes les espérances qu’on avait d’abord fondées sur la grandeur du caractère de Napoléon, parce qu’on croyait devoir attribuer à