Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/340

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pratique, pouvait bien n’être qu’un masque, derrière lequel je cherchais à me préserver de la vanité et de la pédanterie. Je gagnai donc à un haut degré sa confiance, et j’en tirai divers avantages. Ces conversations morales, touchant aux choses éternelles, écartaient ou tempéraient l’effet violent des nouvelles de guerre que chaque jour apportait.

Un nouveau cercle s’ouvrait encore pour moi. La princesse Bagration, belle, charmante, attrayante, rassemblait autour d’elle une société remarquable. Chez elle, je fis connaissance avec le prince de Ligne, que ses relations avec mes amis m’avaient déjà fait connaître de la manière la plus avantageuse.-Je trouvai qu’il justifiait sa renommée. Il se montrait toujours gai, spirituel, à la hauteur de tous les événements, partout bienvenu, partout à son aise, en homme du monde et en homme de plaisir. Le duc de Cobourg se distinguait par sa belle tournure, la grâce et la dignité de ses manières ; le duc de Weimar, que, par rapport à moi, j’aurais dû nommer le premier, car c’était à lui que je devais l’honneur d’être admis dans ce cercle, l’animait admirablement par sa présence.

Il y eut, cette année, abondance de médecins à Carlsbad, et l’on put s’éclairer sur leurs diverses méthodes. La ville et le gouvernement songeaient à faire en l’honneur de ces eaux thermales des établissements plus agréables. La classe pauvre devait avoir un hôpital ; les personnes aisées se réjouissaient par avance des promenades plus commodes et plus décentes qui leur étaient promises. Mon goût pour les études minéralogiques fut favorisé de plusieurs manières.

Vers la fin de la cure, mon fils vint à Carlsbad. Je voulais qu’il pût jouir aussi de l’aspect d’un lieu dont il était si souvent question à la maison. Son arrivée donna lieu à quelques incidents qui révélaient l’agitation secrète de la société. On portait alors une sorte de polonaises vertes, garnies de cordons de même couleur, très-commodes à la chasse et pour monter à cheval. Beaucoup d’officiers prussiens, dispersés par la guerre, avaient adopté ce déguisement comme uniforme d’intérim, et ils pouvaient ainsi circuler incognito parmi les fermiers, les propriétaires, les chasseurs, les maquignons et les étudiants. Mon fils portait cet hSbit. Cependant on avait éventé à Carlsbad