Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/416

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Je croyais de m’élre assez bien approprié les règles d’après lesquelles on devait écrire et juger les pièces de théâtre, et je pouvais me le figurer, à cause de la facilité avec laquelle je savais adapter la forme dramatique à tous les événements, grands et petits. Je contais facilement toute sorte de légendes, de nouvelles, d’histoires de revenants, d’histoires merveilleuses, et je savais présenter à l’impromptu, dans cette forme, mille incidents de la vie. Je m’étais fait aussi là-dessus une règle qui s’écartait peu de la règle théâtrale. En ce qui touchait le jugement, mes idées étaient assez étendues : aussi tout ce qui était poétique et oratoire me semblait-il agréable et charmant. En revanche, l’histoire, dont je ne pouvais absolument rien tirer, ne m’entrait pas dans l’esprit. La vie me donnait encore plus d’exercice ; j’y manquais tout à fait d’une boussole, qui m’aurait été bien nécessaire ; car, au moindre vent favorable, je voguais toujours à pleines voiles, et je courais à tout moment le risque d’échouer. Combien m’était-il déjà arrivé de choses tristes, pénibles, fâcheuses ! Quand je portais avec quelque attention mes regards autour de moi, je ne voyais aucun jour où je fusse à l’abri de semblables expériences. Depuis plusieurs années, la bonne fortune m’avait adressé plus d’un sage mentor ; mais, plus j’apprenais à en connaître de nouveaux, moins j’arrivais à ce qui était proprement l’objet de mes recherches ; L’un plaçait la maxime fondamentale de la vie dans la bonté et la tendresse ; l’autre dans une certaine habileté ; le troisième dans l’indifférence et la légèreté ; le quatrième dans la piété ; le cinquième dans le travail et dans l’activité du devoir ; le sixième dans une imperturbable sérénité, et ainsi de suite, en sorte qu’avant ma vingtième année, j’avais parcouru presque toutes les écoles des moralistes. Ces leçons se contredisaient trop souvent pour se pouvoir concilier. Cependant on parlait toujours d’une certaine modération, qu’avec mon naturel, je comprenais moins que tout le reste, et que la jeunesse en général ne peut comprendre, parce que la modération, quand elle n’est pas native, exige la plus claire connaissance de soi-même, et qu’avec tous ses efforts pour se montrer modérée, la jeunesse ne s’en abandonne que plus à de déraisonnables emportements. Toutes ces pensées et ces opinions étaient donc éveillées chez moi, et si vive, libre et joyeuse