Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/53

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lar, on était arrivé à Nordheim par Gœttingen ; on contait ensuile les bons et les mauvais cantonnements, les hôtes grossiers et malhonnêtes, polis et mécontents, hypocondres aux manières aimables ; on disait les couvents de nonnes, les chemins et le temps tour à tour bons et mauvais. De là on s’était avancé jusqu’à Coblenz par les frontières orientales de Weslphalie. On passait en revue les jolies femmes ; puis c’étaient des histoires bigarrées de prêtres bizarres, d’amis rencontrés à l’improviste, de roues brisées et de voitures versées.

A partir de Coblenz, on se plaignait des contrées montueuses, des chemins pénibles et de diverses souffrances, et, après s’être quelque peu oublié dans le passé, on approchait toujours plus de la réalité ; l’entrée en France, par un temps effroyable, fut présentée sous les plus tristes couleurs et comme un digne prélude de la situation que nous pouvions prévoir en retournant au camp. Toutefois, dans une pareille société, on s’encourage l’un l’autre ; et moi, en particulier, je me tranquillisais à la vue des précieuses couvertures de laine que mon palefrenier avait empaquetées.

Le soir, je trouvai au camp dans la grande tente la meilleure société. Elle y était restée réunie, parce qu’on ne pouvait mettre le pied dehors. Tout le monde était plein de courage et de confiance. La prompte reddition de Longwy confirmait la promesse des émigrés. On serait reçu partout à bras ouverts, et la grande entreprise ne semblait rencontrer d’autre obstacle que le mauvais temps. La .haine et le mépris pour la France révolutionnaire, exprimés dans le manifeste du duc de Brunswick, se montraient sans exception chez les Prussiens, les Autrichiens et les émigrés.

Et certes, pour s’en tenir à ce qui était avéré, il paraissait qu’un peuple désuni à ce point, divisé en partis, profondément bouleversé, éparpillé, ne pouvait résister à la haute unité de vues des nobles alliés. Et puis on avait déjà des exploits à conter. Dès notre entrée en France, cinq escadrons de hussards de Wolfrat, qui faisaient une reconnaissance, avaient rencontré mille chasseurs venus de Sedan pour observer notre marche. Les nôtres, bien conduits, attaquèrent, et, comme les ennemis se défendaient vaillamment, qu’ils ne voulaient point accepter de