Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/78

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cette rivière çt la forêt. On se nourrissait en chemin de ces graves pensées, tout en prenant une joyeuse part aux incidents et aux événemenls de tout genre. Un singulier phénomène attira toule mon attention. Afin de pousser en avant plusieurs colonnes de front, on en avait mené une à travers champs par des collines unies, mais, lorsqu’il fallut redescendre dans la vallée, on avait trouvé une pente escarpée : elle fut aussitôt talutée du mieux qu’il fut possible, mais elle restait encore assez roidc. A midi, un rayon de soleil parut et se refléta sur toutes les armes. J’étais sur une hauteur, et je vis passer dans tout son éclat cette rivière d’armes élincelantes ; mais ce fut un spectacle surprenant quand la colonne arriva à la pente escarpée, où les rangs, jusqu’alors maintenus, se séparèrent par bonds, chaque soldat cherchant de son mieux à gagner la profondeur. Ce désordre donnait parfaitement l’idée d’une cascade. Mille et mille baïonnettes, brillant pêle-mêle, produisaient le plus vif mouvement. Et lorsque, au pied de la colline, les rangs et les files se reformèrent et poursuivirent leur, marche dans la vallée, comme ils étaient arrivés sur la colline, l’idée d’un fleuve se présentait toujours plus vive. Ce phénomène était d’autant plus agréable, que sa longue durée fut favorisée par le soleil dont on sentait tout le prix dans ces heures incertaines, après une longue privation.

Après midi nous arrivâmes à Massiges ; nous n’étions plus qu’à quelques lieues de l’ennemi. On avait tracé le camp ; nous nous établissions à la place qui nous était assignée ; déjà les pieux é’.aient plantés, les chevaux attachés, les feux allumés, la cuisine ouverte : tout à coup le bruit se répand que le camp n’aura pas lieu ; la nouvelle est arrivée que l’armée française se retire de Sainte-Menehould sur Châlons ; le Roi ne veut pas la laisser échapper et il a donné l’ordre du départ. J’allai chercher des informations à la bonne source, et l’on me répéta ce que j’avais déjà entendu ; seulement j’appris encore qu’à cette incertaine et invraisemblable nouvelle, le duc de Weimar et le général Heymann avaient pris les devants avec les mêmes hussards qui avaient répandu cette alarme. Au bout de quelque temps, ces généraux revinrent et assurèrent qu’on ne remarquait pas le moindre mouvement, et ces patrouilles durent