Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/81

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n’était guère praticable, parce que lout était envahi ; mais le village s’étendait fort loin et en s’écartant du cliemin par lequel nous étions arrivés. Je proposai à mon ami de descendre avec moi la longue rue. Nous vîmes sortir de l’avant-dernière maison un soldat maugréant de ce qu’on avait déjà tout dévoré et qu’on ne trouvait plus rien nulle part. Nous regardâmes par les fenêtres, et nous vîmes deux chasseurs assis fort tranquillement ; nous entrâmes, pour nous asseoir du moins à couvert. Nous les saluons comme des camarades, et nous nous plaignons de la disette générale. Après avoir échangé quelques propos, ils nous demandent le secret : nous leur tendons la main. Alors ils nous découvrent qu’ils ont trouvé dans la maison une belle cave bien meublée ; qu’ils en ont masqué l’entrée eux-mêmes, mais qu’ils ne veulent pas nous refuser une part de la provision. L’un d’eux tire une clef de sa poche, et, en écartant divers obstacles, démasque la porte et l’ouvre. Nous descendons, nous trouvons plusieurs tonneaux, dont chacun pouvait contenir deux muids ; mais, ce qui nous intéressa davantage, ce furent divers compartiments de bouteilles casées dans le sable, où le bon camarade^ qui les avait déjà mises à l’épreuve, nous indiqua la meilleure espèce. Je pris deux bouteilles de chaque main ; je les cachai sous mon manteau, mon ami en fit autant, et nous remontâmes la rue, dans l’espérance de pouvoir bientôt nous rafraîchir.

Tout près du grand feu de garde, je remarquai une pesante et forte herse ; je m’assis dessus, et je glissai, par-dessous mon manteau, mes bouteilles entre les dents de la herse. Au bout de quelque temps j’en sortis une bouteille, qui fit pousser des exclamations à mes voisins. Je leur offris aussitôt de la partager avec eux. Ils en prirent à longs traits, mais le dernier modérément, parce qu’il s’apercevait bien qu’il me laissait peu de chose. Je cachai la bouteille à côté de moi,, et je produisis bientôt après la seconde ; je bus à la santé des amis, qui s’en régalèrent encore une fois, sans prendre garde d’abord au miracle ; mais, à la troisième, ils crièrent au sorcier, et ce fut, dans cette triste situation, un badinage de toute façon bienvenu.

Parmi toutes les personnes dont le feu éclairait dans ce cercle la taille et le visage, j’aperçus un homme âgé que je crus reconnaître. Quand je m’en fus assuré, je-m’approchai de lui, et il ne