Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/83

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C’était la chaussée de Châlons à Sainte-Menehould, la route de Paris en Allemagne : on nous mena au delà et puis à l’aventure.

Nous avions déjà observé les mouvements de l’ennemi campé devant les bois ; nous avions pu également remarquer que de nouvelles troupes arrivaient : c’était Kellermann, qui faisait sa jonction avec Dumouriez pour former son aile gauche. Les nôtres brûlaient d’impatience de marcher aux Français ; officiers et soldats souhaitaient avec ardeur que le général voulût attaquer dans ce moment ; notre marche impétueuse semblait annoncer ce dessein : mais Kellermann avait pris une position trop avantageuse. Alors commença cette canonnade sur laquelle on a fait tant de récits, et dont on ne peut toutefois décrire la violence soudaine, ni même faire revivre l’idée dans son imagination.

La chaussée était déjà bien loin derrière nous, et nous poursuivions vers l’ouest notre course impétueuse, quant tout à coup un adjudant arrive au galop et nous commande de repasser la chaussée et de nous poster auprès, du côté gauche, pour appujer l’aile droite. Nous obéissons et, comme cela, nous nous trouvons en face de l’ouvrage avancé désigné sous le nom de la Lune, qu’on pouvait voir joignant la chaussée, sur la colline, à la distance d’un quart de lieue. Notre commandant vint au-devant de nous ; il venait de mener sur la hauteur une demi-batterie d’artillerie volante. Nous reçûmes l’ordre d’avancer sous sa protection, et, en chemin, nous vîmes, gisant sur la terre, un vieux maître d’équipages, première victime de cette journée. Nous allions pleins de confiance ; nous voyions de plus près l’ouvrage avancé, dont la batterie faisait un feu bien nourri.

Mais bientôt nous nous trouvâmes dans une étrange position : les boulets pleuvaient sur nous, et nous ne pouvions comprendre d’où ils venaient ; nous avancions sous la protection d’une batterie des nôtres, et l’artillerie des ennemis, postée sur les collines en face de nous, était beaucoup trop éloignée pour nous atteindre. Arrêté à l’écart devant le front, j’avais sous les yeux le plus singulier spectacle : les boulets tombaient par douzaines devant notre escadron, heureusement sans ricocher, parce qu’ils enfonçaient dans le sol humide ; mais la boue aspergeait les hommes et les chevaux, qui, tenus en bride par